In Vino Veritas

Stéphane Montez puis Michel Troisgros, récit d’un week-end lyonnais

Lors des ponts de mai nous avons rendu visite à des amis dans le Lyonnais, avec en prime une balade sur les hauts du Monteillet où nous avons pu découvrir les vins du talentueux Stéphane Montez. En Condrieu, Saint-Joseph ou en Côtie-Rôtie, tous les vins de ce producteur méritent une mention spéciale. En fin de week-end nous nous sommes fait plaisir en passant par Roanne, chez la famille Troisgros, avec là aussi quelques très belles rencontres…

 

Lyon est une ville magnifique dans laquelle je souhaitais retourner depuis longtemps. Mon amie Sonia, lyonnaise d’adoption, nous y a invités à passer quelques jours pour découvrir tous les mystères de la capitale des Gaules. Ceux qui connaissent cette ville se rappellent certainement des petites ruelles du vieux Lyon avec ses fameuses traboules, la vue imprenable de la Basilique de Fourvière, la Place des Terreaux avec ses bâtiments majestueux ou encore l’immense place Bellecour entre Rhône et de Saône. N’oublions pas non plus la gastronomie lyonnaise, avec ses plats copieux et généreux : grattons, andouillette, saucisson brioché, pieds de porc et j’en passe, en somme toutes ces bonnes choses qui ont un impact quasi immédiat sur votre taux de cholestérol ! Enfin vous pourrez aussi flâner dans les rues médiévales de Sainte-Croix en Jarez ou de Pérouges, deux des plus beaux villages de France situés à moins d’une heure de route…

A toutes ces curiosités touristiques s’ajoute la proximité des vignobles de Condrieu et de la Côte-Rôtie : c’est pourquoi nous avons pu résister à l’idée d’aller rendre visite à un des meilleurs vignerons de cette région, Stéphane Montez. Nous avons été reçus dans le nouveau caveau de dégustation qui surplombe magnifiquement le Rhône. Au milieu des vignes, avec une belle vue sur les pentes vertigineuses de Condrieu et de Côte-Rôtie au Nord et le vignoble de Saint-Joseph au Sud, le Domaine du Monteillet est idéalement placé sur le plateau, à l’abri du Mont Pilat. Ses 24 ha ont été repris par les ancêtres de Stéphane qui habitent dans le hameau du Monteillet depuis le 18è siècle. Le travail sur ces terroirs escarpés doit être des plus rigoureux, aussi le raisin est cueilli à maturité et récolté dans des petites caissettes, ils subissent un tri sévère ainsi qu’un éraflage.

Le caveau de dégustation, spacieux et moderne, accueille des clients de tous horizons : Suisse, Angleterre (avec les sommeliers du Dorchester du Londres), Allemagne : on ressent l’intérêt grandissant des grands vins du Rhône… Nous débutons notre série de vins avec l’excellent IGP blanc des Côtes Rhodanniennes « Les Hauts du Monteillet » 2013 : mariage de plusieurs cépages (Roussanne, Marsanne, Viognier, Clairette, Chardonnay), il délivre un ensemble déjà accessible et aromatique, fait d’agrumes et de fruits blancs. La bouche est enveloppante, aromatique et généreuse mais dotée d’une belle fraîcheur. Vin immédiat, de partage, idéal à l’apéritif. Il me convient plus que l’IGP blanc des Côtes Rhodanniennes « Le Petit Viognier » 2013, plus variétal et intensément parfumé, d’autant que je ne suis pas un fan de ce cépage en général.

Cependant je ne peux que m’incliner devant la beauté du Condrieu Les Grandes Chaillées 2013 qui provient de huit parcelles de Viognier encrées dans ce terroir granitique. Il reprend le nom des chaillées, ces grandes terrasses maintenues par des murs en pierres sèches depuis l’ère romaine. Ce vin à la robe dorée brillante arbore une fine complexité au nez, sur le citron, les fleurs blanches et le végétal. La bouche limpide et fraîche se caractérise par un équilibre sans lourdeur, ce qui est plutôt rare pour un Condrieu ! Sa finale rafraîchissante, d’une rare longueur florale prend des tons finement amers mais quelle fraîcheur. Un vin de gastronomie ! Le Condrieu Chanson 2012 provient d’un autre coteau granitique, encore plus abrupt et aride. Plus extrême, plus puissant, il est aussi marqué par son élevage à ce stade avec des notes beurrées, de pain grillé et de fruits mûrs. La bouche doit se faire, le boisé encore présent mais l’on ressent clairement un potentiel de garde important pour pouvoir exprimer toute la minéralité du terroir. A attendre, ou à carafer longtemps à l’avance.

Les vins rouges du Domaine de Monteillet offrent un crescendo fascinant. Le pendant rouge de l’IGP des Côtes Rhodanniennes « Les Hauts du Monteillet » 2012 propose une belle entrée en matière avec de la fraîcheur, des notes poivrées, végétales et même si les tannins sont encore astringents, cet assemblage de jeunes vignes de Côte-Rôtie et de Saint-Joseph est déjà très agréable. Typique de ces sols granitiques, long et sapide en fin de bouche, il sera idéal pour vos grillades de l’été. Etant un grand amateur de l’IGP des Côtes Rhodanniennes « La Syrah à Papa » je suis surpris de ne pas voir la référence sur la carte. En fait le millésime 2013 a été mis en bouteille une semaine avant notre passage et n’est officiellement pas encore en vente. Heureusement une caisse est déjà étiquetée : nous aurons donc la primeur de cette Syrah issue d’une parcelle en fermage de l’autre côté du Rhône, sur un sol de galets roulés similaire à des terroirs plus méridionaux. En résulte une Syrah mûre, veloutée et juteuse avec des beaux arômes de cerise noire et de mûre. Belle maturité, belle définition, ce vin est tout à fait superbe pour son prix. A 8€ prix domaine, ce vin de soif, comme on le faisait autrefois est une véritable affaire !

Deux cuvées de Saint-Joseph complètent la gamme, avec tout d’abord le Saint-Joseph rouge 2013, issu de jeunes vignes de Syrah sur les sols granitiques de Chavanay, à l’extrême Nord de l’appellation. Après un élevage de 14 mois ce vin présente un nez harmonieux et élégant sur des arômes de fruit noir, de poivre et de cendre. Alors que le nez est attirant la bouche est quant à elle d’une puissance asséchante et plutôt difficile à appréhender à ce stade. Je lui préfère largement le Saint-Joseph « Cuvée du Papy » 2013 que le domaine produit depuis 1989. Constitué de vieilles vignes de Syrah sur sol granitique, ce vin est le résultat d’un travail de sélection tout particulier et d’un élevage prolongé à deux ans en demi-muids. Son fruit pulpeux et profond jaillit du verre avant que son bel enrobé ne nous fait succomber. Les tannins sont présents et doivent s’arrondir mais la structure de ce vin est là tout comme son grand équilibre. Sa finale longue, gouleyante et minérale ne fait que confirmer tout le potentiel de cette grande bouteille dans un grand millésime. A garder.

Nous terminons cette dégustation avec un des coups de coeur de la journée à savoir la Côte-Rôtie « Fortis » 2012. Cette cuvée tire son nom de « Fortis fortuna fortior » (la chance renforce la vaillance), la devise du propriétaire du domaine au XVIIe siècle, maréchal de France sous Louis XIV. Ce vin provient des coteaux de terres blondes de gneiss au sud d’Ampuis. Ce terroir permet à la puissance et à la minéralité de la Syrah (94% de l’assemblage final) de s’accorder parfaitement avec le fruit et la rondeur du Viognier. Son nez parfumé, envoûtant et complexe annonce la couleur grâce à des notes de vanille, de poivre de Séchuan mêlées au fruit noir et au cuir. Une pointe mentholée donne du peps. La bouche est encore puissante mais joue dans toujours l’élégance avec des notes d’encre, de fruit noir et toujours cette force minérale qui prolonge l’ensemble dans une longue finale. A la fois soyeux, sapide et frais, il nous offre la plénitude en bouteille, surtout avec cette fine touche réglissée en rétro-olfaction. Superbe, tout simplement !

Pour finir la Côte-Rôtie Les Grandes Places 2011 nous est servie alors qu’elle n’est d’habitude pas disponible à la dégustation. Et pour cause seulement 6 barriques de ce vin ont été produites, issues d’une minuscule parcelle de terres brunes (micaschiste). 97% de Syrah et 3% de Viognier entrent dans ce vin qui aura mûri 34 mois en bois neuf. Des notes de cacao, de torréfaction, de fruit noir et d’épices s’expriment dans un nez sombre mais très bien poli. Le grain de tannin est exemplaire : enrobé, arrondi et velouté, il ne subit pas la marque du bois neuf. Ce vin stylé cache cependant une structure tannique incroyable qui le portera loin. Il a la finesse d’un grand vin alliée à une force sous-jacente, celle de son terroir. Très beau, cher, mais pour le long terme.

En somme les vins du Domaine du Monteillet font partie des meilleurs rapports prix-plaisir dans la région surtout si l’on considère l’explosion des tarifs dans certains domaines (comme par exemple les Côte-Rôtie des frères Jamet, du Domaine Gerin, de René Rostaing ou encore de Georges Vernay). Je suis la progression des vins de Stéphane Montez depuis quelques années maintenant et cette dernière dégustation confirme les progrès faits en terme de précision et d’expression des terroirs. Stéphane Montez a su tirer profit d’un grand millésime 2013 que je vous recommande tout particulièrement.

 

Je ne peux conclure ce commentaire sans vous parler de la leçon de gastronomie que nous avons reçus chez Michel Troisgros à Roanne. Tout d’abord la cuisine, que nous avons eu la chance de visiter en arrivant au restaurant. L’ambiance y est studieuse, l’environnement spacieux, lumineux et propice à la créativité, avec cette ouverture vitrée sur un parc flamboyant. Plus de 45 ans avec 3 étoiles, la distinction mérite le voyage et c’est après plus d’une heure de route, dans une ville calme voire sinistrée que nous découvrons le joyau Troisgros, juste en face de la gare. La cuisine proposée par le passionné Michel et plus récemment par son fils César, se veut sincère, audacieuse, vive et nuancée. Avec des jeux de texture, d’arômes et d’épices complexes voire déroutants, preuve en est avec ce dessert à la fraise et à la mousse de bière, les plats conjuguent la simplicité du goût avec des jus tantôt corsés, tantôt crémés, tantôt moutardés. Comment pourrais-je oublier cette queue de homard et son jus de carotte / pamplemousse ! Le chef jongle constamment avec l’acidité et la vivacité des plats, certainement inspiré par la méthode de son grand-père qui rajoutait un fil de citron sur chaque assiette quittant le garde-manger ! Les accords à la fois subtils et forts en caractère nous ont guidés tout au long de ce Menu de Mai, avec une montée en puissance parfois extrême dans la vigueur et l’expression des plats, que ce soit par le homard ou encore la canette et son jus corsé. Une cuisine moderne, osée, mais sans être minimaliste.

Tous ces accords été sublimés par 4 vins d’une justesse exemplaire. Tout d’abord le Rully 1er Cru 2011 du Domaine Dureuil-Janthial, issu de vieilles vignes de plus de 60 ans, qui offre un plaisir immédiat dans ce millésime solaire. Son boisé fin et son expression finement minérale ont idéalement porté l’asperge et sa crème safranée. Avant cela nous nous délectés de l’élégance du Champagne Billecart-Salmon Grand Cru Blanc de Blancs, absolument envoûtant et à la bulle si fine et persistante. L’expression de ces deux fut absolument de premier ordre sur la cuisine raffinée de Michel Troisgros. Et que dire du Meursault 2011 de Jean-François Coche-Dury ? Le restaurant a la chance inouïe de recevoir plusieurs palettes par an des vins de ce producteur mondialement connu. Jean-Jacques Banchet, le malicieux sommelier à deux mois de la retraite, m’a confirmé qu’au vu des quantités mises à disposition par le domaine, les prix à la carte peuvent rester sages, à la différence de grands palaces parisiens qui eux reçoivent ces vins au compte-goutte… En résulte un Meursault 2011 au nez raffiné, profond, empreint de fruit blanc et d’agrume. La matière charnue est supportée par une finesse cristalline et une fraîcheur rare. Assemblage de hauts coteaux (Narvaux, Tillets et Charrons), cette cuvée resplendit par sa tension minérale, vive et précise qui se termine dans une finale longue, minérale et finement épicée. Un bonheur qui titille merveilleusement le homard aux agrumes ! Le dernier vin de la soirée sera le Saint-Joseph 2011 de Jean-Louis Chave pour accompagner la canette de Challans juteuse ainsi que quelques fromages dont une Comtesse de Vichy à se pâmer ! Je me souviendrai longtemps de son grain de tannin fin et précis. Un vin tout en élégance qui contraste plutôt avec le style plus puissant des Saint-Joseph de Stéphane Montez.

Quel grand week-end gastronomique !

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