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Un dîner avec Jean-François Ganevat

Par 14 mai 2012avril 21st, 2013Non classé

L’enfant terrible du Revermont était de passage au restaurant La Closerie pour nous donner un aperçu de tous ses talents de vinificateur, au cours d’un beau repas organisé pour l’occasion. A côté des fleurons de la maison, nous avons aussi goûté quelques raretés comme Sul Q blanc 2004, une sélection de grains nobles exceptionnelle.

Jean-François Ganevat est un vigneron hors-pair. Il n’a pas de codes, pas de limites et se laisse guider plus volontiers par ses convictions que par quoi que ce soit d’autre. Issu d’une longue lignée de vignerons, il représente la 17è génération de cette famille de Rotalier dans l’extrême sud du vignoble du Jura, dans le Revermont. Converti en culture biologique en 1998 puis en biodynamie dès 2006, ce domaine pratique la sélection parcellaire sur un vignoble de 8.5 ha. Résultat : pas moins de 51 cuvées dans le millésime 2011 !

Jean-François Ganevat, alias Fanfan, au restaurant de la Closerie

Les vins du domaine sont ouillés et élevés sur lies pendant au moins 2 ans. Pas d’interventionnisme : une fois les raisins en fût, il ne les touche plus jusqu’à la mise en bouteille sans soufre bien sûr. Pour l’anecdote sachez que la cuvée « Les Vignes de mon Père » est en fût depuis 11 ans ! On peut le considérer comme un vigneron extrême, il n’empêche que Fanfan (c’est son surnom) s’attèle à faire revivre les traditions d’antan. Il se refuse à se limiter qu’aux 5 cépages autorisés sur l’appellation : Chardonnay et Savagnin en blanc, Pinot Noir, Poulsard et Trousseau (et non le Gamay…) en rouge. Son vignoble cache des parcelles de plus de 50 cépages anciens que ce vigneron veut ramener au goût du jour au risque de faire jaser ses collègues les plus conventionnels.

Vous l’aurez compris, cette dégustation s’inscrit sous le signe de l’extrême mais aussi de la découverte. Vous verrez qu’elle prendra la route de l’émerveillement. Christian, Benoit et moi sommes prêt à en découdre. Installés dans la grande salle du restaurant où nous retrouvons des visages familiers, nous dégustons le Côtes du Jura blanc « Cuvée Florine » 2009 sur une mousse de foie d’oie. Issu des jeunes vignes du domaine sur un sol calcaire, cette cuvée de Chardonnay qui porte le nom de la fille du vigneron est élevée en demi-muids pendant 2 ans. Sa couleur or intense et son disque brillant précèdent un nez fermé et poussiéreux. A l’ouverture nous trouvons le fruit jaune très mûr avec une pointe d’alcool. L’attaque en bouche ne fait pas dans la dentelle. La bouche est riche, volumineuse et reprend la mirabelle, la poire, la pêche jaune et le coing. La fin de bouche est amandée et juteuse comme si l’on croquait dans une poire bien mûre. L’acidité est là, le côté minéral surgit en finale et se prolonge. Ce vin est à l’image d’un millésime solaire mais il sait garder une minéralité adéquate.

Les asperges vertes rôties et oeuf poché en meurette accompagnent le Côtes du Jura rouge « Cuvée Julien » 2010. Ce Pinot Noir provient d’un vignoble planté par le grand-père de Jean-François en 1951 sur des sols schisteux. Sa robe est improbable, entre un verre de sirop de grenadine et un rubis translucide : elle est tout de même limpide et son disque est gras. Le nez est aérien sur le fruit rouge mûr avec une évolution légère sur les sous-bois. L’attaque en bouche est très fraîche avec des accents gazeux. Fanfan dit que ce vin est bien trop jeune, il n’empêche que l’on y retrouve toute la pulpe du Pinot Noir : la fraise des bois, la prune sont déjà décelables au nez mais se retrouvent ici. Tout l’équilibre de ce vin se joue sur des amers taillés comme des lames de rasoir. L’alcool est moyen mais ce n’est pas le propos. Cette amertume joue avec le plat, la finale tranche sur l’amande amère, la framboise et la quinine. Incroyable pour un Pinot Noir ! Une très belle expérience oenologique.

Nous en venons à une des cuvées stars du domaine avec le Côtes du Jura blanc « Les Chalasses Vieilles Vignes » 2009 qui est servi sur une poularde fermière aux morilles, sauce au Savagnin. Issu d’une vigne de Chardonnay plantée en 1902, de rendements minuscules de 17hL/ha et élevé 2 ans sur lies, cette cuvée titre 13.5% à l’image de ce millésime solaire. Le nez est finement vanillé avec une évolution sur la crème anglaise, les fruits jaunes et une pointe citronnée. Noble au nez et élégant en bouche, il décline toutes les notes du Chardonnay cueilli à maturité. La fin de bouche se décline sur le fruit à noyau. Son acidité est légère mais nous sommes tous d’avis que ce vin doit encore se faire pour gagner en profondeur. Elle est néanmoins puissante et marquée par une fine touche de noisette. Les lecteurs assidus de ce blog se souviennent d’un commentaire à rallonge qui relatait toute la beauté du 2005 dégusté en 2008 (voir ici) et qui a de nouveau séduit les foules à la fin de l’année dernière (voir ici). Comme quoi les vins de Jean-François Ganevat gagnent à être gardés.

Je dois bien l’avouer je ne suis pas un grand fan de Savagnin même si mon palais s’adapte de plus en plus. Benoit, en grand amateur de ce cépage, attendait une cuvée de Savagnin depuis le début du repas. Il sera ravi d’accompagner un Comté de 24 mois avec le Côtes du Jura blanc « Cuvée de Garde » 2007. Composé pour moitié de Savagnin et pour moitié de Chardonnay, je suis absolument bluffé par ce grand assemblage. J’ai le souvenir d’un grand vin raffiné où chaque composante joue sa partition avec brio. Le nez est complexe avec des notes de poussière, de noix fraîche, de céréales, de foin et de pomme au four. La bouche est magistrale d’équilibre : l’acidité est fine, la matière est raffinée, la longueur est profonde et minérale. Je n’ose même pas imaginer la qualité des Savagnins purs du Domaine…

Nous terminons cette dégustation avec une rareté. « Sul Q » blanc 2004, Vin de Table de France est une sélection de grains nobles faite de 8 cépages jurassiens historiques qui ne rentrent pas dans la dénomination Côtes du Jura. Récoltés le 11 décembre à l’aube, ces raisins ne donneront que 120L de ce fameux nectar (2hL/ha) ! Son premier nez s’ouvre sur la tomate épicée relevée à l’origan : absolument déroutant ! Je m’empresse d’interpeller Fanfan pour lui demander s’il y a bien du raisin là-dedans… A l’aération ce vin prend des accents de pâte de fruits de prune et d’abricot, des notes torréfiées, de rhubarbe et d’orange confite. Quelle complexité ! La bouche est riche en fruits mûrs (pâte de fruits de fraise, d’abricot, de mirabelle, de coing) et rehaussée de citron confit. Quelle matière pulpeuse ! La finale est extrêmement fraîche comme si cette friandise s’effaçait sur un océan de fraîcheur. C’est franchement sublime, un grand vin !

Nous finissons cette dégustation avec le sourire aux lèvres. Christian, Benoit et moi, ainsi que nos voisins René, Nathalie et Thierry sommes enchantés. Jean-François Ganevat est un grand vigneron, un ambassadeur de sa région. Dommage que la renommée de cette maison se soit déjà propagée bien au-delà de nos frontières puisque les vins du Domaine sont exportés dans 23 pays du monde. Fanfan répète bien souvent qu’il n’a rien à vendre. Alors bien malin celui qui pourra en trouver quelques bouteilles car ces vins en valent bien la peine… Merci à Jean-François pour cette belle animation, ainsi qu’à Nicolas et à Marc pour cette belle initiative.

In vino veritas