In Vino Veritas

Florilège de vins blancs de Loire

Quelques mois après être partis à la découverte des Riesling d’Alsace mon ami Christian nous a proposé un voyage à la conquête des grands vins blancs de Loire. Qu’ils soient faits de Chenin ou de Sauvignon, qu’il soient secs, moelleux ou liquoreux, notre hôte nous a réunis ce soir dans sa cave pour déguster ensemble quelques trésors de sa collection. 13 vins au total, avec entre autres pour débuter un superbe Blanc Fumé de Pouilly 2008 du Domaine Dagueneau puis quelques Savennières produits par Eric Morgat et en apothéose deux vieux Vouvray du Domaine Huet…

 

Je connais peu d’amateurs de vins aussi généreux que mon ami Christian. Après une belle série de Riesling d’Alsace, dont vous pouvez lire le compte-rendu ici, il remet le couvert cette semaine pour nous faire voyager au fil de la Loire. Cette vaste région viticole renferme quelques-uns des plus grands trésors des vignobles français. Ce soir nous nous concentrerons sur les vins blancs, issus majoritairement des cépages Sauvignon blanc à l’est et Chenin à l’ouest. Quelques autres cépages, comme le Muscadet dans la région nantaise, composent aussi certains vins ligériens mais c’est avant tout les deux cépages précités qui sont les ambassadeurs des vins blancs de la région. Plus de 10 vins nous attendent au cours de cette soirée marathon et c’est sans tarder que notre équipe de dégustateurs enfile le bleu de chauffe.

Nous débutons sans attendre par une petite mise en bouche avec le Montlouis-sur-Loire « Triple Zéro » du Domaine de la Taille aux Loups. « Zéro sucre ajouté, zéro liqueur de tirage et zéro liqueur d’expédition », ce vin est revendiqué comme étant totalement naturel. Sa bulle discrète et sa robe pâle précèdent un nez toasté avec des accents de champignon et de fruit jaune. 100% Chenin, et ça se sent dans une bouche ample, avec des notes levurées mais aussi légèrement amères. Vineux, riche voire même légèrement rude, il est cependant bien fait et desaltérant dans son ensemble.

Après cette mise en bouche nous traversons la Loire jusqu’à son extrémité orientale, jusqu’au petit village de Morogues, le fief de la famille Pellé. Le domaine exploite une multitude de différents terroirs sur l’appellation Menetou-Salon dont un clos planté en 1966, les Blanchais. A ce stade le Menetou-Salon « Les Blanchais » 2012 du Domaine Pellé est un Sauvignon blanc encore très strict sur des notes végétales, de fougère et d’agrumes. Il exprime toute sa puissance dès l’attaque en bouche ; à la fois droit et vif, il est cependant encore en retrait et très monocorde malgré un carafage de plus de 3 heures… Aucune complexité à l’horizon mais pas de défaut non plus : il s’agit d’un vin froid, sans grande émotion à ce stade. On se demande même s’il n’a pas été vendangé trop tôt. Dommage. Restez connectés, bientôt vous en saurez plus sur ce domaine (en espérant de meilleures émotions)…
Sur l’appellation voisine, le Domaine Fournier Père & Fils nous propose le Sancerre « Cuvée Silex » 2009. Empreint de noblesse et plein de maturité, ce cru propose un nez fruité de cassis, de végétal avec une touche précise d’ananas. Au palais nous ressentons la marque d’un millésime chaleureux mais toujours sur un équilibre maîtrisé. Plutôt gras pour un Sauvignon, il s’estompe légèrement dans une finale courte et dont l’amertume se dissipe passé quelques temps dans le verre. Un type de vin chaleureux mais que je trouve un peu éloigné de l’expression typique d’un terroir de silex.

Tout l’inverse d’un autre style de vin ciselé et précis qui me sied absolument : le Blanc Fumé de Pouilly 2008 du Domaine Dagueneau. La grande classe, surtout quand on pense qu’il s’agit de l’entrée de gamme proposée par Louis-Benjamin Dagueneau. En digne héritier de son père, mort bien trop tôt cette année-là, il nous propose ici un vin intense et doté d’une aromatique bien plus complexe que tous les vins précédents : le fruit rouge, la groseille à maquereau, compote de coing, pâte de fruits, toutes ces nuances décrivent un ensemble mûr et moins variétal. Le plaisir se poursuit dans une bouche certes marquée par l’élevage mais qui démontre aussi beaucoup de présence et de persistance. Pur, gourmand, un vin complet en somme, porté par une acidité juste et une maturité idéale. Il a tous les ingrédients d’un grand blanc !

Il fait froid dans cette cave mais au vu des carafes en attente de dégustation, nous avons de quoi nous réchauffer le gosier… La prochaine série nous emmène en Touraine et en Anjou, sur les traces du noble cépage Chenin. Jean Boxler, notre compagnon de soirée, nous a apporté un vin d’un jeune talent qu’il recontre souvent sur certains salons, le vigneron Vincent Carême. Son Vouvray « Le Clos » 2012 provient d’une parcelle perchée sur le haut du village de Vernou et jouxtant les meilleurs terroirs de l’appellation, sur des sols très calcaires. Le nez mûr reste discret de prime abord avant de s’ouvrir sur les fruits jaunes portés par une fine pointe d’anis et de gingembre. Le vin se goûte demi-sec en bouche et est porté par une matière riche et vigoureuse mais aussi par une acidité soutenue qui permet à l’ensemble de proposer un superbe équilibre. Belle finesse, fin de bouche encore marquée par le fût mais il est indéniable que ce vin sera une grande bouteille d’ici 5 ans : il est doté d’une grande énergie mais aussi d’une finesse caractéristique. A suivre de très près !

Clément est aussi un participant assidu à nos soirées dégustation. Il a récemment eu un coup de coeur pour les vins d’Eric Morgat à Savennières. Ce philantrope a produit en 2007 le Savennières « L’Enclos » qui est resté en élevage pendant 22 mois. Sa robe dorée et son disque clair précèdent des notes de champignon frais, de noisette et de fruit jaune mûr (pêche, mirabelle). La bouche est déjà bien évoluée malgré une aromatique complexe et beaucoup de corps. Malheureusement je trouve que l’acidité du vin ne ressort pas suffisamment pour lui conférer le caractère incisif qui sied à ces vins blancs de Loire. Plus tard nous goûterons le Savennières « Fidès » 2012 d’Eric Morgat qui est en fait le nouveau de la cuvée « l’Enclos » goûtée précédemment. D’après mes recherches cette dernière cuvée provient en fait du coeur de l’Enclos, sur les meilleures parcelles de schistes. Là encore l’élevage est marqué. Certes il est encore très jeune mais il a déjà beaucoup de fond. La qualité du vin est indéniable, issue d’une vendange mûre, de raisins sains et de petits rendements. Tout y est juste sauf pour moi l’excès de bois. Certes sa complexité et sa richesse incroyable peuvent le supporter mais je trouve que l’élevage a dénaturé toute la beauté de sa matière première. Ce vigneron est capable de faire des grands vins, je suis sûr qu’il changera de style avec les années…

Nous retournons sur Vouvray et plus précisément chez Jacky Blot, figure emblématique des vins tourangeaux. Vous savez peut-être qu’il possède deux domaines : le Domaine de la Taille aux Loups à Montlouis sur Loire et le Domaine de la Butte à Bourgeuil. Son Vouvray « Clos de Venise » 2011 provient d’une parcelle enceinte de murs qui fait face à la Loire et qui est exploitée par Jacky Blot depuis 1998. Plus de la moitié des vignes ont plus de 70 ans. Les faibles rendements expliquent cette matière riche en bouche mais dans un registre parfaitement sec. Auparavant il dévoile des arômes complexes de fumé, de cassis et de pierre à fusil. Encore un vin qui est au tout début de sa carrière, car sa matière imposante doit s’arrondir, mais son acidité vive le portera loin. Il s’agit toutefois d’un vin d’initié, qui se goûte très sec tel un alcool blanc de houx !

Nous remontons au chaud pour profiter du repas, des bouchées à la reine, avec le Vouvray sec 2002 du Domaine du Clos Naudin. Sa robe dorée annonce une certaine évolution tout comme le nez, empreint de champignon, de cire et de fruit jaune confit. L’attaque légère et un tantinet fluette joue sur des notes pures de coing et de mirabelle. Il y a un creux en milieu de bouche sans doute lié à un millésime humide et plutôt difficile à travailler sur des blancs secs. Il en résulte néanmoins une belle trame acide et un ensemble pur jusque dans une finale fine et longue. Un vin tout en douceur et en légèreté, on sent ici la patte de Philippe Foreau, un vinificateur hors-pair même dans un millésime froid et humide comme le fut 2002…
Nous concluons les vins secs par un Sancerre « Les Monts Damnés » 2011 de François Cotat, un autre vigneron de talent qui, avec son cousin Pascal Cotat, se partagent un patrimoine de vignes rare et prestigieux sur cette célèbre appellation : les Culs de Beaujeu, le Clos de Beaujeu, la Grande Côte ou encore ces Monts Damnés, un vignoble pentu exposé plein sud qui révèle des vins assez étonnants, vifs et dotés d’une minéralité appuyée. Ce Sancerre « Les Monts Damnés » 2011 évoque des arômes racinaires et de gentiane dans un nez encore plutôt réduit qui s’ouvre peu à peu sur les fruits exotiques. La bouche quant à elle est stricte, légèrement végétale mais avant tout marquée par ce terroir calcaire, minéral qui ressort avec une amertume salivante. Sa belle aromatique et ses accents salins se révèlent bien sur le Comté mais ne vous y trompez pas, ce Sancerre est un vin d’initié et de grande garde. Il relaie le travail « à l’ancienne », si peu interventionniste de ce vigneron qui laisse la nature sublimer ses vins purs, droits et empreints de cette énergie qui défiera les années. Rien que cette finale profonde et complexe (fumée, tabac, gentiane) laisse augurer tout le potentiel de ce vin en devenir…

Nous terminons la soirée en apothéose avec deux grands vins du Domaine Huet à Vouvray. Propriété mondialement reconnue pour la beauté et le potentiel de garde de ses vins, il offre parfois l’occasion à ses (meilleurs) clients d’acquérir quelques vieux flacons de la cave personnelle du domaine… Comme le Vouvray « Le Mont » Première Trie 1990 qui m’enchante déjà par sa couleur acajou digne d’un vieil Armagnac ! Passé une phase volatile le vin s’ouvre peu à peu sur le caramel au beurre salé, le botrytis et quelques notes boisées. La bouche explose de richesse malgré un goût de bouchon léger et ô combien malheureux. La patine est là mais c’est le potentiel de garde supplémentaire qui est évident : en effet ce vin viril demande de l’air, il a aussi une belle acidité qui le mènera peut-être aussi loin que le Vouvray « Clos du Bourg » moelleux 1964 du Domaine Huet ! Ce Chenin a désormais mangé tout son sucre et nous séduit par son équilibre souverain : le minéral et la force du terroir ont pris le dessus avec une belle expression de bois noble. Les notes de cire et de miel soulignent une belle patine subtile. Ce Clos du Bourg joue sur la finesse et la distinction. Il est dans la fleur de l’âge et brille par la classe et la race que lui a conféré son terroir plutôt que la fougue et la richesse d’un raisin surmûri.

 

Il couronne cette soirée entre amis et amateurs, organisée de main de maître par Maria et Christian. D’ailleurs nous prenons déjà quelques idées pour nos prochaines soirées, comme si cela doit devenir une tradition. Honnêtement, je n’ai rien contre !

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