In Vino Veritas

Joyaux en Côte de Nuits

Les Grands Jours de Bourgogne font partie des rendez-vous incontournables pour tout amateur de grands vins de cette région viticole. L’édition 2014 des Grands Jours, comme ils sont communément appelés, nous a emmenés à la découverte des joyaux de la Côte de Nuits au cours d’une dégustation géante à la Maison de Marsannay. Quelques producteurs, sur les 66 vignerons présents, ont attirés toute notre attention : Gilles Ballorin, Philippe Charlopin, Denis Mortet, le Domaine Huguenot et le grand Jean-Louis Trapet. Avec des hauts, et des bas !

 

La 12è édition des Grands Jours de Bourgogne a été l’occasion rêvée de s’échapper de notre quotidien pour passer de nouveau quelques heures au coeur du vignoble bourguignon, si proche de nous autres, que ce soit par la géographie ou par les sentiments. D’autant plus avec le printemps précoce et ensoleillé qui fait certainement plus le bonheur des touristes d’un jour que nous sommes, que des vignerons qui espèrent enfin le retour d’un millésime salvateur après plusieurs années de rendements faibles et de météo capricieuse.

Sébastien et moi sommes donc partis à la conquête de la Côte de Nuits au fil de plusieurs dégustations dans des lieux souvent prestigieux. Notre première halte s’effectue à Marsannay-la-Côte et plus précisément à la Maison de Marsannay pour découvrir le thème « Joyaux en Côte de Nuits ». Cette dégustation organisée par le Syndicat Viticole de Gevrey-Chambertin regroupe 66 domaines viticoles qui travaillent sur les trois appellations présentées en ce jour : Marsannay, Fixin et Gevrey-Chambertin. Alliance du rosé, du blanc et du rouge, ce trio de villages compte plus de 30 Premiers Crus et pas moins de 9 Grands Crus ! Ancrées sur ces terres depuis des siècles les dynasties religieuses et seigneuriales, puis familiales, ont façonné cette mosaïque de terroirs. Une histoire qui remonte au 1er siècle de notre ère et poursuivie par les moines qui ont donné naissance sur ces terres au doyen des clos bourguignons, le Clos de Bèze, en l’an 640.

Cette histoire passionnante faite de rencontres, d’arômes et de couleurs, rassemble une foule venue de par le monde pour assister à cette dégustation. Nous constatons très vite que nous ne serons pas seuls lors de cette journée mais aussi et surtout qu’une myriade de langues et de cultures différentes sont venues découvrir la Bourgogne du vin ! Pas étonnant donc que plus de 60% des participants aux Grands Jours de Bourgogne viennent de l’étranger. Pas étonnant non plus que les prix des vins de Bourgogne explosent sous l’impulsion de cette demande mondialisée exacerbée par des quantités de production minimes ces dernières années…

Nous voilà à l’aube d’une journée de travail studieuse. Devant cette foule d’amateurs et de professionnels nous ne savons pas par où commencer ! C’est donc tout naturellement que nous nous dirigeons vers des noms et des têtes familières, comme celle de Philippe Charlopin par exemple. Vous vous souvenez peut-être de notre sympathique rencontre avec Philippe et son fils Yann lors de la dégustation de l’Union des Gens du Métier à Berlin en 2013 (voir par ailleurs). Alors que le père déambule dans la salle à la recherche de nouvelles pépites, le fils nous fait découvrir les trois vins de la journée. Nous débutons par un Marsannay « En Montchenevoy » 2011, qui provient d’un terroir au-dessus des Longeroies, sur la faille calcaire. C’est un vin dont on se régale en le buvant : juteux, rond, souple sur la cerise noire pulpeuse, il est un poil chaud en bouche et finit en traduisant la force du terroir. Le Gevrey-Chambertin Vieilles Vignes 2011 est issu de vignes entre 50 et 80 ans. Nous retrouvons ce vin après l’avoir apprécié à Berlin à l’automne. Sa profondeur de fruit est palpable au nez ; la bouche offre un fruité généreux à l’attaque pour ensuite dévoiler toute sa puissance et sa minéralité. La finale est longue. Pour terminer nous avons la chance de goûter le Charmes-Chambertin Grand Cru 2011. Il en impose avec  sa robe grenat sombre et ses jambes grasses. Le fruit noir est pulpeux, profond et très présent à ce stade. L’attaque en bouche se montre fraîche et met en avant la grandeur de ce terroir : le fruit est présent, profond et repose sur un fond minéral sous-jacent. Le tout délivre la puissance de ce terroir de Gevrey ; associé à la vinification sans concession de Philippe Charlopin, vous obtenez un grand vin aux larges épaules et chaleureux en fin de bouche.

Nous poursuivons notre tournée avec les vins d’Arnaud Mortet qui a repris le domaine à la suite de son illustre et regretté père Denis Mortet en 2006. C’est la première fois que je goûte les vins d’Arnaud lors de cette journée et je dois dire qu’ils ne m’ont pas laissé une grande émotion malgré tout le travail et l’engagement que l’on sent en amont. Quoi qu’il en soit le Marsannay les Longeroies 2011 nous séduit grâce à son nez mentholé et frais rehaussé par le fruit rouge et les épices. La bouche manque un peu de relief passé une attaque très franche et fruitée. Nous poursuivons avec le Gevrey-Chambertin Vieilles Vignes 2011 qui se veut discret de prime abord puis s’ouvre sur le fruit rouge. La bouche combine toute la puissance et l’austérité de l’appellation dans sa prime jeunesse, avec une recherche de rondeur et d’élégance. Pour terminer le Gevrey-Chambertin 1er Cru Lavaux Saint-Jacques provient du haut de l’appellation, sur la combe, et est exposé vers le sud. Toute la minéralité de ce terroir caillouteux et drainant ressort dans un nez qui allie fruité et profondeur. La bouche retranscrit la puissance, les tannins doivent encore se fondre. Le tout a beaucoup de fond et de potentiel de garde.

Le Domaine Huguenot est souvent cité dans le peloton de tête de l’appellation Marsannay. Je me souviens d’ailleurs d’un très beau Marsannay Champs-Perdrix 2005 lors de mon dernier passage dans la région pour y déguster les vins du Domaine Fougeray de Beauclair (voir ici). Nous avons l’occasion lors de cette journée de déguster toute la gamme de ce vigneron discret, en débutant avec le Marsannay Echezots 2012. Comme souvent sur les vins de ce producteur, le boisé est subtilement intégré à l’ensemble et confère un style assez velouté qui est d’autant plus séduisant sur les millésimes de grande maturité. Ce Marsannay se montre avenant et prêt à boire en bouche, avec des tannins plutôt souples même si la finale est encore serrée et austère. Une légère amertume apparaît. Le Marsannay En la Montagne 2012 est quant à lui plus solaire tout en gardant cette élégance en bouche. L’exposition plein sud de la vigne lui confère cette richesse. S’en suit le Marsannay Champs-Perdrix 2012 provient d’un terroir chaud, calcaire et escarpé à l’extrême sud de l’appellation. Il évoque le fruit rouge et le végétal mais se démarque étonnamment par sa finesse plutôt que par sa concentration sur ce millésime. Nous finissons par le Fixin Les Petits Crais 2012 qui est issu d’une vigne voisine des Champs-Perdrix. Ce cru se distingue par des sols plus argileux et plus lourds. Le vin est ample et fruité, avec une pointe d’épices. L’élégance de l’ensemble est palpable même si la fin de bouche est courte. Généralement le domaine Huguenot propose des vins agréables, faciles à boire même dans leur prime jeunesse. J’aurais cependant attendu un peu plus d’audace et de caractère dans l’ensemble afin que toute la beauté de ces terroirs puisse s’exprimer. A signaler que le domaine vient de recevoir sa certification bio à partir du millésime 2013. A suivre donc…

Je voulais terminer ce commentaire par nos deux domaines coups de coeur de cette matinée. Nous n’avons malheureusement pas pu faire le tour de chaque stand et je suis sûr que nous sommes passés à côté de grands vins ! Cependant je peux vous dire que nous fûmes heureux que l’on nous ait conseillé les vins de Gilles Ballorin. Basé à Morey-Saint-Denis, il est à la tête depuis 2005 d’une petite exploitation de 5.5ha. Dès 2006 il se sent convaincu par la biodynamie et laboure l’ensemble de ses 11 parcelles à cheval. Ce travail d’artisan vigneron se traduit remarquablement dans la bouteille puisque le Domaine Ballorin nous a proposé lors de cette dégustation quelques-uns des vins les plus émouvants de la journée ! Nous débutons par un vin blanc étonnant, le Marsannay Au Larrey 2012, issu d’un vignoble complanté de Chardonnay, Pinot Gris et Pinot Beurot. Il offre un nez de fruit mûr et exotique dans lequel plein de friandises se mêlent. La bouche se distingue par sa grande fraîcheur et sa longueur. La tension de l’ensemble est remarquable pour un blanc de la Côte de Nuits, une belle émotion ! La finale reprend l’ananas et le fruit exotique, le tout termine frais et précis. Le Marsannay Les Echezots 2012 nous fait rebasculer dans le monde des vins rouges : Gilles Ballorin nous précise que le sol calcaire de cette vigne située en fond de vallée exprime toute sa minéralité et sa fraîcheur. En effet la bouche fraîche brille par sa netteté et son fruité précis. Nous remarquons une fois de plus que l’expression des vins du domaine se veut exacte, fine et sans excès, par opposition à beaucoup d’autres vins de la région qui cherchent des niveaux d’alcool, d’extraction et de bois neuf élevés. La finale minérale et saline, avec une touche étonnante d’huître, conclut le tout. Le Marsannay Clos du Roy 2012 provient quant à lui de sols à dominante de grès et de terres fines. Il concilie une matière riche, solaire à une texture aérienne qui se veut très digeste. Le fond du vin est puissant et le tout finit longuement. On a envie d’en boire, comme tous les autres vins de cette série ! Comment résister ? Enfin nous terminons avec le Fixin Les Chenevières 2012 que je ne trouve pas encore tout à fait en place. Nous sentons néanmoins que ce vin a du fond et que sa complexité se développe (fruits rouges, orange sanguine). Un peu flou pour le moment, il est de toute la gamme celui qui a besoin de plus de temps pour se révéler. Je serais ravi de le regoûter dans deux ans si d’aventure cette étoile montante de la Côte de Nuits a encore quelques bouteilles à vendre ! Coup de coeur !

Il en est un autre domaine qui n’a plus besoin de faire ses preuves ! Le Domaine Trapet, représenté par le jovial Jean-Louis Trapet lors de cette journée, est depuis longtemps dans le haut du pavé bourguignon. Cependant son propriétaire prend toujours autant de plaisir à parler de son vin avec passion. Il n’est pas devenu, comme certains de ses confrères, un homme d’affaires au regard condescendant. Jean-Louis Trapet est un homme de la Terre, un homme simple et proche des amateurs de ses vins ! Il nous accueille avec son Marsannay blanc 2010, issu d’une petite parcelle de Chardonnay de 50 ares, qui offre une entrée en matière de haut-vol. Avec un fruité blanc complexe au nez, il propose au palais un ensemble frais et élégant qui mêle les agrumes, le minéral, le fruit blanc et une touche levurée. A maturité, il joue dans un registre gourmand, chaleureux mais s’étire longuement en fin de bouche. Le Marsannay rouge 2012 offre un fruit rouge complexe ainsi qu’une touche de végétal et de baies rouges. La bouche lumineuse est tenue par des tannins frais qui relaient tantôt la puissance tantôt la finesse de l’ensemble. L’équilibre est donc idéal ! Nous poursuivons sur le Gevrey-Chambertin 2012 qui est le résultat presque en totalité d’une vinification en grappes entières. Quel travail difficile pour le vigneron que d’assurer une maturité parfaite des rafles et des raisins afin de retranscrire au mieux le fruit de son travail ! La cerise, la mûre et la prune sont complétées par un côté animal (cuir, sous-bois) au nez. Nous retrouvons ce fruit noir sauvage au palais qui n’est que la traduction liquide de nos repères olfactifs. L’énergie et la vivacité de l’ensemble sont éclatantes. Enfin quoi de mieux pour clôturer cette matinée que le Chambertin Grand Cru 2012 du Domaine Trapet ? Déjà doté d’une complexité précoce, il délivre tour à tour des nuances de fruit noir profondes, d’épices, de cuir, de balsamique et une pointe de chou rouge ! La bouche combine tout d’abord l’élégance du fruit avec des tannins fins et frais avant de durcir le ton et de révéler toute la force du Chambertin ! Une main de fer dans un gant de velours, telle est la représentation que nous nous faisons de ce Seigneur bourguignon. Sa puissance, sa longueur et sa profondeur en finale sont prometteuses d’une grande garde au cours de laquelle le fruit noir et le poivre en finale ne pourront que se complexifier ! Grand Vin !

 

Je pense qu’après ce grand Chambertin nous pouvons quitter la maison de Marsannay en toute sérénité. Les conditions de dégustation ne furent idéales en raison de la chaleur ambiante et de la foule présente. Evidemment nous n’avons pas pu goûter tous les vins, et sommes certainement passés à côté de grandes choses, mais notre petit tour nous a fait apprendre et comprendre bien plus de tous ces vignerons que nous avons visités que ce que nous avions expérimenté jusqu’à présent. Le Domaine Trapet et Gilles Ballorin sont les deux grands gagnants de cette matinée de par leur adhésion au terroir et leur travail invétéré à la juste réflexion de ce dernier. J’ai l’impression qu’à l’instar d’autres vignerons de la Côte, ils n’ont cédé à aucune mode et poursuivent avec passion leur travail de vrai vigneron !

A suivre, de Chambolle à Morey…

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