In Vino Veritas

Rendez-vous en Terre Inconnue

Les Avinturiers sont partis à la recherche d’un trésor caché du Languedoc-Roussillon, un domaine confidentiel et mystérieux nommé Terre Inconnue. Lucien et Robert Creus, père et fils, y produisent des vins étonnants et plein de caractère dans le plus pur respect de la tradition languedocienne.

 

Tout a commencé quand mon ami Arnaud m’a un jour offert une bouteille dénommée Sylvie 2006, un Vin de France à l’étiquette mystérieuse révélant une Terre Inconnue. Moi qui pensait avoir tout vu de ce qui se faisait dans les vignobles français, je me voyais excité d’en savoir un peu plus, Et c’est au cours d’une dégustation entre amis amateurs (voir par ailleurs) que nous avons eu la révélation pour ce domaine familial dont personne ne parle vraiment, même au temps des blogs et autres forums sur le vin…

Curiosité obligé j’ai donc pris contact avec le domaine et plus particulièrement avec Robert Creus, le fils de Lucien qui approche désormais les 80 ans mais qui ne semble pas vouloir prendre la retraite. Jugez plutôt, Lucien travaille dans ses 4ha de vignes, mais seulement le matin ! Et le fils Robert donne un coup de main à la fin de sa journée de travail dans un grand groupe de construction. Basée à Saint-Sériès dans l’Hérault cette propriété discrète produit plusieurs vins de garage tous classés en Vin de France alors que la vigne se situe sur l’appellation Coteaux du Languedoc – Grès de Montpellier. Vigneron amateur, Robert Creus produit ses vins en étant guidé par sa passion et son intuition, d’ailleurs il lui arrive ouvertement de dire qu’un de ses vins est raté ! Critique oenophile hors pair, il cultive de très vieilles vignes au nord-est de Montpellier qu’il a récupérées au fur et à mesure de ses rencontres dans les années 90 (début de l’aventure en 1996). Après plusieurs années de conversion vers une culture soucieuse de l’environnement, il travaille les vignes avec un seul désherbage mécanique par an et sans engrais ; les traitements sont réduits au strict nécessaire. La vendange en vert n’est plus effectuée prouvant que la vigne s’est autorégulée, elle garde 5 à 6 grappes sur chaque pied, pour des rendements de 10 à 25 hl/ha !

La production artisanale et confidentielle du domaine est plutôt rare et figure sur les cartes de grands restaurants. Mais la famille Creus a le cœur sur la main et a gracieusement mis à disposition des Avinturiers une série de plusieurs cuvées de cette Terre Inconnue dont certains vieux millésimes. 12 bouteilles au total, mais dans un souci de santé publique nous ne goûterons que 8 flacons lors de cette soirée.

Nous débutons avec le Vin de France « Les Bruyères » 2013. Entrée de gamme composée uniquement de Carignan il présente une robe encore légèrement trouble mais d’apparence très sombre. Son nez de fruit noir est rehaussé par des soupçons de cuir et de balsamique malgré une légère réduction : on ressent néanmoins une grande fraîcheur friande qui s’affirme également en attaque de bouche. Toutefois les marques d’élevage sont encore présentes et le tout ne semble pas encore bien calé au palais. La finale, longue et droite prolonge le tout est laisse présager une belle garde de 3 à 5 ans. Si vous souhaitez le boire maintenant, n’hésitez donc pas à lui donner un coup de carafe. Sinon, c’est lui qui vous donnera un coup !
Il est suivi par une cuvée plutôt récente nommée Vin de France « Guilhem » 2012 et issu de 30% de Grenache, 10% Tempranillo, 30% Serine et 30% Carignan. Sa belle robe grenat marquée précède un ensemble suave et patiné au nez, certes un peu marqué par le bois mais aussi raffiné par le pruneau et la réglisse. Je le trouve dans l’esprit très proche d’un Châteauneuf-du-Pape faisant la part belle au Grenache. Sa bouche aux tannins moelleux et veloutés fait la part belle à la cerise et aux fruits noirs. Néanmoins la chaleur du vin est présente, presque entêtante et révèle tout le caractère d’un vin atypique que je placerais volontiers sur un dessert au chocolat…

Le vin de France « Léonie » est un des vins préférés de Robert Creus : fruit de ses premières expériences viticoles ce vin provient uniquement de vieilles vignes de Carignan ayant grandi sur un terroir de galets roulés à Lunel. Nous avons la chance de déguster deux millésimes à pleine maturité mais dans un style bien différent. Tout d’abord le 2004 évoque une belle pureté de fruit ainsi qu’une fraîcheur surprenante avec la poudre de cacao, la vanille et une touche végétale. L’aération l’affine et affirme toute sa fraîcheur tout comme en bouche. A la fois séveux et frais, il exprime avec élégance toute la puissance de son terroir. La finale longue et chaleureuse prolonge le plaisir sans aucune lourdeur mais plutôt porté par une touche sapide rafraîchissante. Un modèle d’élégance ! Le vin de France « Léonie » 2003 fait office d’épouvantail avec ses notes puissantes de transpiration, de fumier avant de s’aérer sur de fines notes boisées, de fruit noir cuit et d’amande grillée. La bouche reprend l’amande pour la rondeur et les fruits noirs pour la sensualité. L’équilibre se fait naturellement même si sa puissance est sans équivoque tout comme son côté sudiste. Cependant le tout se tient très bien grâce à quelques touches mentholées en fin de bouche ainsi qu’une salivation bienvenue. Un très bel exemple sur ce millésime extrême. Les deux vins témoignent aussi du potentiel de garde important des vins du domaine : alors que 2003 approche la fin de son apogée, le 2004 est tout à fait à maturité et un régal à boire maintenant sur un beau gibier ou alors une terrine de gibier comme celle préparée par Gilles Reeb pour les Avinturiers…

Changement de style avec un vin 100% Grenache, tout en rondeur et en suavité : le Vin de France « Los Abuelos » 2010 arbore une robe sombre dégradée avec un nez plutôt animal de prime abord, sur le fumier, le lard et la viande séchée. Ce n’est qu’après une aération dynamique que les fruits frais et des nuances métalliques prennent le dessus. Sa bouche est un modèle d’équilibre, certainement le meilleur vin de la soirée, car il a l’élégance d’un Faugères et le caractère d’un Nuits-Saint-Georges ! Ses tannins levurés et légèrement farineux sont d’une fraîcheur remarquable, sa douceur au palais est portée par un fruit noir voluptueux et des notes lardées. Son équilibre parfait provient d’une acidité rafraîchissante qui porte l’ensemble vers une garde de plusieurs années encore. Coup de coeur ! Alors que le 2010 nous séduit pleinement, qu’en est-il du Vin de France « Los Abuelos » 2001 ? Séducteur, bien enrobé et fondant au nez, il exhibe des notes élégantes de fruits cuits, de garrigue avec une évolution complexe sur les épices et le cacao. La bouche plus sucrée met en avant une belle liqueur de cerise et un caractère plus extrait que son petit frère. Ses tannins sont fondus, mûrs et subtilement élégants : ils témoignent du bénéfice d’une décennie de garde.

 

Alors que Los Abuelos nous envoûte telle une danseuse de flamenco, nous terminons la soirée par le vin phare de Terre Inconnue, la mystérieuse « Sylvie » 2008, Vin de France. Issue à 50% de Syrah et à 50% de jeunes vignes de Serine (une vieille variété de Syrah plantée par les Creus) cette cuvée a bénéficié d’un élevage de 24 mois en barriques. Après quelques années de garde il s’ouvre sur un ensemble concentré et complexe qui met au jour des notes lardées, épicées et subtilement fruitées. Plus aérien que tous les vins précédents, il reprend une touche fraîche portée par le menthol. La bouche fruitée fait la part belle à la mûre et aux fruits noirs, sa puissance est tout bonnement incroyable ! Sa jeunesse insolente est presque violente, ses tannins encore astringents doivent se fondre. Des notes poivrées et mentholées ressurgissent en fin de bouche mais ce vin, si long et si large, devra passer au moins 2 jours dans une carafe si vous souhaitez le servir maintenant ! Le Vin de France « Sylvie » 2005 arbore aussi une robe très sombre et un nez complexe de fruit noir sauvage, de soja, d’herbes séchées, de réglisse, de café avec des notes viandées. Il a eu le bénéfice du temps : sa matière prodigieuse et son fruit éclatant peuvent s’exprimer davantage dans une bouche puissante mais très bien construite grâce à des tannins frais, mûrs et fondus. Finale longue, très longue sur le café qui révèle un potentiel de garde encore certain. Cette cuvée « Sylvie » est un vin de grande garde, à la puissance et à la complexité digne des plus grandes Syrah du Rhône et d’ailleurs.

 

Au final nous avons eu la chance de parcourir (presque) toute la gamme de cette Terre Inconnue du Languedoc. Ses vins d’auteur signés Lucien et Robert Creus sont sans complexe, plein de caractère et capables d’une grande garde. Alors que Robert Parker aime leur « distinction », j’ai plutôt aimé leur originalité et leur diversité. Tantôt difficiles à appréhender, tantôt d’un équilibre rare, ces vins vivants démontrent que Robert Creus est un autodidacte de talent mais surtout un personnage d’une liberté singulière. Pour preuve il fuit les dogmes des vins d’appellation dans le but ultime de restranscrire toute la beauté de chaque terroir et de chaque millésime. Une ôde à la liberté d’expression, qualité rare dans ce monde si stéréotypé.

 

Domaine Terre Inconnue, 62 rue des Albizzias, F-34400 Saint-Seriès
Tél.: +33 (0)7.88.16.17.32, robert.creus@wanadoo.fr

 

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