In Vino Veritas

Andlau et ses terroirs

Andlau est la seule commune d’Alsace à compter 3 Grands Crus sur ses terres : le Kastelberg, le Moenchberg et le Wiebelsberg. Nous avons eu la chance de parcourir les rangs de ses terroirs célèbres en compagnie des vins des 3 plus grands vignerons de cette commune au cours d’une soirée organisée de main de maître par Fabrice et toute l’équipe du Restaurant Le Colombier.

 

Andlau, cité historique, viticole et gastronomique, est un haut-lieu du patrimoine et des Grands Crus d’Alsace. Dans son écrin de vignes et de forêts, la cité d’Andlau est entourée de châteaux et d’autres sites remarquables qui remontent aux heures les plus précoces du Moyen-Age. Toutefois au cours d’une soirée dégustation organisée par Christophe et Fabrice nous avons pu découvrir Andlau sous un autre angle, celui de son vignoble et de ses vins issus d’une myriade de terroirs qui tapissent le ban de la commune. Ils nous ont fait voyager dans les rangs des Grands Crus Kastelberg, Moenchberg et Wiebelsberg en compagnie des vins de Rémy Gresser, Marc Kreydenweiss et Guy Wach du Domaine des Marronniers, les 3 vignerons les plus célèbres du village.

3 styles de vin, 3 interprétations du terroir et de la viticulture : Rémy Gresser, Marc Kreydenweiss et Guy Wach sont aussi 3 potes qui représentent fièrement les terres séculaires sur lesquelles ils ont le privilège de travailler. Bien sûr les Grands Crus constituent toute leur fierté et les fers de lance de leur gamme, mais pour débuter, sur un cannelloni de saumon aux asperges gratinées préparé par le Chef Pascal Basso, les organisateurs de cette dégustation ont décidé de présenter deux vins de terroir qui ont une âme toute particulière…

Prélude : Deux terroirs singuliers d’Andlau

Tout d’abord le Sylvaner Duttenberg 2011 de Guy Wach, qui provient de vignes de 45 ans sur le flanc est du Moenchberg, nous met en selle avec son nez minéral rehaussé de citron et d’herbes médicinales (houx). Sa belle maturité lui confère un toucher de bouche soyeux, les arômes du nez sont répliqués au palais avec harmonie. Une pointe chaleureuse conclut l’ensemble avant que la minéralité n’allonge ce très beau Sylvaner. D’un autre côté l’Alsace Clos du Val d’Éléon 2011 de Marc Kreydenweiss est un assemblage à part égales de Riesling et de Pinot Gris sur un sol de schistes en aval du Clos Rebberg. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une vigne complantée puisque 2 rangs de Pinot Gris côtoient 2 rangs de Riesling. La vendange des deux est en ensuite assemblée en cave dans la tradition des gentils d’Alsace, l’assemblage des cépages nobles. Issu d’un élevage long de 12 mois sur lies il arbore une robe dorée marquée puis un nez fumé qui met au jour des notes de pierre à fusil, de foin et de tabac blond. L’attaque riche est enrobée de notes de fruits jaunes mûrs, de pomme cuite et de fumé avant qu’une longue trame acide ne vienne supporter l’ensemble. L’équilibre est trouvé, il est puissant mais sans excès. L’assemblée adore l’originalité de cet assemblage de matière et de tension. La finale profonde est marquée par le terroir schisteux qui lui procure une chaleur rafraîchissante avant de terminer longuement. Un modèle du genre !

Le Grand Cru Kastelberg

Deuxième plus petit Grand Cru d’Alsace avec une surface de 5.82ha, à une altitude entre 140 et 280m, le Kastelberg se situe juste derrière le jardin du Domaine Marc Kreydenweiss. Son terroir unique de schiste de Steige lui donne ce sol dur, peu friable, très proche d’un terroir granitique. Planté de vignes sous l’occupation romaine, le Kastelberg est l’un des plus anciens d’Alsace, et non des moindres : des documents de 1064 y signalent déjà la production de grands vins. Ici 7 propriétaires se partagent toute la surface et ont agréé de ne cultiver que le Riesling : 5 travaillent en biodynamie, 1 en culture biologique et 1 en culture conventionnelle, malgré toutes les tentatives de persuasion de ses collègues ! Les 3 vins proposés accompagnent un hors d’oeuvre succulent : un nuage de sole farcie au foie gras et son jus tranché.

Pour commencer le Riesling Grand Cru Kastelberg 2009 de Rémy Gresser suggère des notes légères d’hydrocarbure au nez mais aussi et surtout un citron intense enrobé de minéral. Les élevages courts de ce vigneron donnent des vins propres, des jus clairs ce qui confère toute la fraîcheur et la minéralité de ce vin particulièrement réussi dans un millésime chaleureux comme 2009 ! Le résultat en bouche est éloquent : la texture est veloutée, le tout vogue avec élégance et finesse sur des notes de minéral et d’anis. La trame acide confère cette fraîcheur étonnante et qui balance parfaitement la maturité du fruit.
Le Riesling Grand Cru Kastelberg 2008 de Guy Wach fleure bon les agrumes (orange sanguine, zeste d’orange) et le minéral. Sur ce millésime froid qui arrive à maturité, l’élevage long a donné à ce vin le corps, la rondeur et la puissance ; le citron confit vient rafraîchir l’ensemble. L’accord avec le plat est tout simplement parfait, le caractère aérien de ce vin titille la sauce fumée et le lard. La finale puissante et chaleureuse est d’une grande longueur avec quelques notes épicées.
Le 3è accord donne la mesure d’un grand vin à la puissance tellurique. Le Riesling Grand Cru Kastelberg 2010 de Marc Kreydenweiss laisse apparaître des notes levurées et lactées qui traduisent un élevage long. L’orange, la pomme au four ainsi que la rose fanée viennent complexifier l’ensemble. Le résultat en bouche est sec (moins de 6g/L de sucre résiduel, presque 9g/L d’acidité !), gras et d’une puissance majestueuse ; j’ai l’impression de goûter le Grand Cru Mambourg de Jean-Michel Deiss. Ce Seigneur d’Andlau vient couronner cette série avec une telle matière, une telle grandeur tout en offrant une touche sapide rafraîchissante avant de finir avec une longueur inouïe. Quel équilibre, quel potentiel !

Le Grand Cru Moenchberg

La montagne des moines (en alsacien Moenchberg) a été choisie très tôt par les bénédictins de l’Abbaye d’Altdorf pour y cultiver leurs vignes. Ce terroir très riche en dépôts glaciaires (limons complétés de dépôts argilo-calcaires) s’étend sur 11.83ha dans une cuvette à pente douce et orientée plein sud. 2 cépages y sont cultivés, le Riesling et la Pinot Gris. Nous avons la chance au cours de cette soirée de déguster les deux cépages en accompagnement d’un paleron de veau revisité : tout d’abord le Riesling Grand Cru Moenchberg 2011 de Guy Wach propose une palette aromatique d’une complexité élégante et enrobée d’agrumes, de truffe, de pois, de menthol et de fleur blanche. Sa texture de bouche veloutée met en avant un côté solaire encore présent mais qui devrait s’assagir avec quelques années de bouteille. J’ai trouvé des accents marqués qui me rappellent bizarrement le Viognier car ce vin est riche en fleurs blanches (sureau, jasmin, lys). Déroutant pour un vin de ce cépage et de cette provenance.

Le Riesling Grand Cru Moenchberg 2007 de Rémy Gresser se montre plus accompli. Intense au nez, il développe des notes minérales (cendre, pierre) avec des nuances fines d’agrumes et de fruit mûr. La bouche se veut ronde et bien structurée, les sucres résiduels (7g/L) se sont bien fondus et confèrent un certain équilibre. La longueur de ce vin est impressionnante.
Nous terminons avec le Pinot Gris Grand Cru Moenchberg 2009 de Marc Kreydenweiss. Il est souvent périlleux de construire un grand vin de gastronomie avec ce cépage riche et à maturité précoce. Après 24 mois d’élevage sur lies, ce vin est encore marqué par des notes de yaourt, de bâton de vanille, de pain d’épices sur un fond minéral. La bouche allie ampleur et élégance, les fruits secs et le coing sont portés par une grande acidité qui balance parfaitement toute la puissance de ce Grand Cru. En résulte un ensemble pur, long, dans un registre sec car le tout ne porte que 4g/L de sucres résiduels. Un grand Pinot Gris qui se gardera encore plusieurs années.

Le Grand Cru Wiebelsberg

Dernier représentant des 3 Grands Crus d’Andlau, le Grand Cru Wiebelsberg est orienté sud-est sur une forte pente à la sortie de la vallée, sur 12.53ha de sols gréseux (grès rose des Vosges). Particulièrement drainant et se réchauffant rapidement, ce terroir fait la part belle au Riesling (environ 90% de l’encépagement). A l’occasion de cette soirée le chef a décidé d’y associer deux fromages locaux, le Petit Louis et le Lou Cabri. Personnellement je n’ai pas vraiment craqué pour les fromages, mais je suis tombé sous le charme du Riesling Grand Cru Wiebelsberg 2010 de Marc Kreydenweiss ! Son nez de foin, de fruits mûrs (pêche, fruits exotiques – mangue) est complété par des tons d’orange et d’épices (cannelle). Son attaque vive cisaille le gras du fromage : il révèle cette acidité et cette sapidité extraordinaires qui caractérisent les grands vins de terroir. Ses arômes maltés soulignent une expression de droiture, de longueur et de profondeur dignes d’un Grand Cru. Honnêtement, un superbe vin qui brille dans ce millésime d’équilibre ! J’adore !
Véritable concentré de menthe le Riesling Grand Cru Wiebelsberg 2011 de Guy Wach n’est pas au niveau de ses congénères d’un soir. Sa bouche végétale en devient entêtante avec une touche amère en finale. Ce vin doit clairement se faire car il n’est pas à la hauteur de cette confrontation.
Nous terminons cette série par un autre superbe vin en compagnie du Riesling Grand Cru Wiebelsberg 2008 de Rémy Gresser. Son nez de citron confit, de meringue et de minéral révèle toute la classe et l’élégance de ce vin. Droit mais empreint de matière au palais, il dévoile tout le classicisme d’un grand Riesling vinifié par Rémy Gresser. Une fine touche végétale vient couronner le tout et donne un accent frais et sapide. Ce Wiebelsberg de Rémy Gresser a certes moins de complexité que celui de Kreydenweiss mais il se livre avec plus de vérité. Son grand équilibre de bouche et sa longueur impressionnante sont autant d’atouts pour la garde. Chapeau !

La soirée bat son plein et les avis sont échangés entre tous les convives. Notre achevons cette dégustation avec un sablé breton fraise rhubarbe à la crème princesse citron vert qui est accompagné d’un Riesling Grand Cru Kastelberg Vendanges Tardives 2011 de Guy Wach. Cette Vendange Tardive révèle des notes de pomelo, de melon et d’agrumes confits précèdent une bouche dotée de beaucoup de vivacité et d’une certaine fraîcheur. Une salade de fruits (melon, fraise, fruits exotiques) révèle le côté gourmand et généreux de ce vin moelleux même si une légère amertume est présente en fin de bouche. L’accord avec le dessert est plaisant même si le vin en lui-même n’est pas au top.

 

En somme cette soirée dédiée aux beautés du vignoble d’Andlau a tenu toutes se promesses. Cette cité historique du patrimoine alsacien est bel et bien le berceau de grands et divers terroirs. Le Kastelberg nous a impressionné grâce à toute sa prestance du haut de ses sols de schistes uniques dans la région, le Moenchberg a fait parler toute sa flamboyance et son originalité tandis que le Wiebelsberg m’a fait trembler par sa vivacité et sa vérité, ce fut un vrai révélateur du terroir et du style de chaque vigneron. Marc Kreydenweiss nous a donné toute la mesure de ses qualités de vinificateur hors pair : sa maîtrise des élevages est digne des plus grands de la région. Rémy Gresser m’a surpris ce soir par la précision de ses vins ainsi que leur juste équilibre selon les spécificités de chaque millésime ; c’est la meilleure prestation des vins de ce vigneron que j’ai vue, bravo ! Guy Wach a brillé avec son Riesling Kastelberg 2008 qui a offert un des meilleurs accords mets-vins de la soirée, mais les autres vins de ce producteur n’ont pas atteint les niveaux de précision de ses congénères.

Un grand merci à Christophe et à Fabrice d’avoir organisé cette soirée sans faute ainsi qu’à toute la brigade du Restaurant Le Colombier à Bartenheim-la-Chaussée pour la justesse des accords. Il est évident que les 30 convives de cette dégustation ont été aussi enchantés par la découverte des trésors de ce célèbre village du vignoble alsacien !

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