In Vino Veritas

Le Rhône à l’honneur au Monde du Vin

Chaque retrouvaille entre amis au Monde du Vin sonne comme un nouveau voyage au coeur des meilleurs terroirs de France et de Navarre. Encore une fois lors de notre déjeuner annuel, nous avons fait fort : Champagne Comtes de Champagne 2005, Taittinger ; Condrieu Coteau de Vernon 2009, Georges Vernay ; Château Lestours Clocher 2011, Vacqueyras ; Terre Inconnue « Sylvie » 2006, Vin de Table de France ; Clos des Papes 2004, Châteauneuf-du-Pape ; Domaine Gourt de Mautens 2000, Rasteau ; Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1983, 2è Cru Classé de Pauillac ; Sylvaner « Tête au Soleil » 2004, Domaine Léon Boesch. Et quelques autres encore…

 

Il y a des jours de l’année qu’il ne faut pas rater. En voici un ! Cela fait maintenant 6 ans déjà que nous nous retrouvons (au moins) une fois par an chez notre ami caviste Fabrice, au Monde du Vin à Saint-Louis, pour partager de grands moments de dégustation : comprenez du bon vin, du bon gibier et une bonne compagnie. Tous les ingrédients furent une fois de plus réunis en ce vendredi. Je ne peux attendre pour prendre la route et m’installer à la table d’un des meilleurs cavistes de la région.
Implantés depuis plus de 10 ans au coeur de la région des 3 Frontières, Fabrice Renner et son équipe ne cessent de dénicher de nouveaux talents tout en proposant une multitude de bonnes affaires (3 offres promotionnelles chaque mois, souvent à moins de 5€) mais aussi de grands vins de tous les vignobles du monde. Le magasin grandit sans cesse, à ce titre il est un partenaire privilégié du bar à vin qui a ouvert récemment en face, La Cave. Vous y retrouverez de nombreuses références de choix et une large sélection de vins au verre !

Revenons-en à nos ripailles avec pour commencer un Champagne « Comtes de Champagne » 2005, Taittinger apporté par Philippe et Jean-Paul, en hommage à cette maison de prestige qu’ils ont la chance de représenter dans la région. Son nez brille par sa maturité (fruits jaunes mêlés de toasté) et sa profondeur même s’il montre quelques notes réductives. Passé cela il expose toute sa puissance minérale, que ce soit au nez ou au palais. Cette année solaire lui confère une puissance et une droiture remarquable, ajoutez-y toute la suavité du Chardonnay (100%) ainsi qu’une bulle fine et vous avez affaire à un grand Champagne pour débuter les hostilités ! Je l’ai goûté sur le foie gras d’oie servi en entrée, l’accord est superbe ! Sa longue trame se prolonge en finale et annonce que ce grand vin n’en est qu’au tout début de sa longue carrière. Il est plus exubérant que son aîné de 1996 bu il y a 3 ans déjà avec les mêmes usual suspects (voir par ailleurs)…

Je suis arrivé bien trop en retard pour apprécier pleinement l’Alsace Grasberg 2009 de Jean-Michel Deiss mais je peux vous en dire quelques mots : il s’ouvre richement sur les agrumes confits à l’image d’un grand Riesling, son potentiel de Vendange Tardive est certain car il évoque de fines notes miellées, sa douceur en bouche est certaine mais portée par la texture cristalline de sols calcaires. Le millésime chaud qu’a été 2009 lui confère cet exotisme jusque dans une finale longue et gourmande. J’en ai laissé un peu dans mon verre pour accompagner un jeune Comté de 12 mois, l’accord s’est avéré comme plutôt réussi.

Nous passons au vin suivant à savoir le Condrieu Coteau de Vernon 2009 de Georges Vernay. Issu d’un sol granitique accidenté qui est au coeur de l’appellation, ce Viognier est sublimé par son terroir ! Comme toujours nous buvons les vins à l’aveugle et nous hésitons à situer ce vin en Rhône Nord. Serait-ce un grand Chardonnay ? Trop exotique. En effet le premier nez ne fait penser à la banane, à l’abricot confit, au miel avec une évolution sur le champignon frais. La bouche, riche et puissante, combine à nouveau le fruit mûr comme au nez et révèle toute la grandeur et la majesté du Coteau de Vernon, cette terre de 2.5 ha densément plantée (8000 à 10.000 pieds/ha) et exposée plein sud. Toute l’exubérance de ce vin est exacerbée sur ce millésime 2009, malgré tout la finale brille par son équilibre et sa salinité même si l’on retrouve l’amertume du cépage. L’accompagnement sur le foie gras d’oie est très réussi et met en avant toute la grâce de ce vin extrême qui entre dans sa phase de maturité. Je ne suis pas un fan de Viognier, d’ailleurs je ne suis pas le seul, mais je ne peux que m’incliner devant la grandeur de ce vin.

L’épaule de sanglier à la truffe, chou rouge et pommes rissolées est à point. Francis, le père de Fabrice a exécuté de main de maître cette pièce de gibier qui a été généreusement apportée par notre chasseur professionnel Christian. Nous débutons avec le Château Lestours Clocher 2011, Vacqueyras, propriété de la grande famille de vignerons Arnoux et Fils. Il s’agit du premier millésime de cette propriété, le vin n’a pas été carafé avant la dégustation ce pourquoi il se montre quelque peu réduit. Il s’ouvre peu à peu sur des notes animales (étable, faisandé), d’épices et de cuir. La bouche se montre fruitée (fruit noir, cerise), plutôt avenante et avant tout digeste malgré un niveau d’alcool élevé (15%). Des notes animales réapparaissent dans une finale fraîche et agréable. Il s’agit d’un vin moderne plutôt bien réussi malgré un prix plutôt élevé…

Mais que dire de cette Terre Inconnue « Sylvie » 2006, Vin de table de France !? Cet Objet Vinique Non Identifié nous a littéralement bluffés. J’avais initialement apporté cette bouteille pour piéger mes amis mais je ne m’attendais pas à un tel tour de force. Quand nous le goûtons (non-carafé), j’entends pêle-mêle « Hermitage », « Côte-Rôtie », « Chave », etc. Cette Syrah (comprenez 50% Syrah, 50% Serine – une vieille variété de Syrah) est issue de vignes de 10 à 30 ans d’âge. Robert Creus s’est installé à Saint-Seriès près de Montpellier à la fin des années 1990 pour y exploiter son petit jardin secret selon les règles de la biodynamie, avec des rendements faibles une extraction maîtrisée qui laissent le fruit s’exprimer au maximum. Cette cuvée de prestige provient de rendements d’environ 15hL/ha. Son registre olfactif est d’une rare complexité et d’une grande profondeur : le cuir, les fleurs séchées évoluent sur le fruit noir pulpeux (framboise, cerise, groseille). Après 1 heure dans le verre, une touche balsamique donne de l’élan et surtout toute la fraîcheur de ce vin explose sur des notes mentholées. Waouh ! La bouche nous envoûte par son charme, le velouté des tannins ainsi que la pulpe du fruit. L’accord avec le gibier est divin ! Ce grand vin du Languedoc se prolonge en finale sur des notes fraîches de cassis et de fleurs. Magnifique, délicat, il brille par sa jeunesse et son potentiel. Un de mes meilleurs vins du Languedoc, sa fraîcheur et son côté digeste sont à se pâmer ! Chapeau bas, tout simplement.

Le Clos des Papes 2004, Châteauneuf-du-Pape sera-t-il au niveau de son prédécesseur, et de son statut honorifique de meilleur vin du monde (par le Wine Spectator sur le millésime 2007) ? Cet assemblage de 65% Grenache, 20% Mourvèdre, 10% Syrah et 5% d’autres cépages autorisés est un exemple d’harmonie, de finesse et de gourmandise. Son nez de Grenache révèle le fruit noir et une complexité naissante de cuir, d’épices, de truffe et d’olive. Olivier Pion, de passage dans le magasin, nous avoue que ce cru a besoin de 10 ans pour commencer à se révéler : et bien on y est ! L’équilibre de bouche est magistral, porté par des tannins soyeux et un fruité séducteur, le tout avec une puissance certaine mais très bien intégrée. Le fruit noir est mis en avant avec tous les arômes du nez. La finesse et la fraîcheur de l’ensemble s’accentuent en fin de bouche sur des doux accents de réglisse et de minéral. On sent encore un boisé léger mais j’avoue que le tout est joliment patiné et extrêmement digeste ! Que dire de ce grand vin de Châteauneuf, cueilli à des rendements minuscules (22hL/ha) mais qui brille par sa grâce et sa prestance !

Il est difficile de passer après ces deux références. Jean-Paul nous parle du vin suivant et nous promet la lune si nous trouvons de quoi il s’agit à l’aveugle… Vous comprenez qu’il fut difficile d’identifier le Rasteau 2000 du Domaine Gourt de Mautens ! J’avais déjà vaguement entendu parler de cette propriété par le passé car elle travaille dans le plus grand respect de la nature et de la diversité. En effet Jérôme Bressy a depuis toujours oeuvré pour réintroduire des cépages ancestraux dans son vignoble, comme par exemple le Picardan (blanc), la Vacarèse ou encore la Counoise en rouge. Ces cépages, d’habitude minoritaire dans les assemblages, ont retrouvé des lettres de noblesse en exprimant au mieux le terroir de Rasteau. Malheureusement son combat pour la diversité lui a coûté le droit d’utiliser l’appellation Rasteau il y a quelques années car le cahier de l’INAO se voulait strict et obtus dans la sélection des cépages pour faire un « vrai » vin de Rasteau… Bref dans notre combat contre l’uniformisation du goût, quoi de mieux que cet ensemble généreux, riche en fruit rouge, en épices et en herbes de Provence pour accompagner notre gibier.  La bouche se montre veloutée malgré toute la puissance du vin ! L’équilibre est juste quoi qu’un peu extrême. Ce qui surprend est cette finale mentholée, fraîche même si ce Rasteau se montre un poil moins digeste que les deux vins précédents.

Le plateau de fromages met les quatre coins de la France à l’honneur. Certains d’entre eux comme le Saint-Nectaire s’accordent divinement avec le Château Pichon Longueville Comtesse de Lalande 1983, 2è Cru Classé de Pauillac. Offert par Jean-Paul ce vin me met logiquement en émoi et me rappelle ma première rencontre avec le même cru dégusté en 2008 : un grand souvenir que vous pouvez revivre ici. Cette fois-ci le vin offre une robe grenat ambrée. Le nez s’empare de poivron et annonce une dominante de Cabernet Sauvignon avant de gagner en complexité à l’aération : le fruit évolué se mêle à l’amande douce, à la réglisse et au végétal pour nous enivrer. L’attaque en bouche est fraîche même si le tout montre quelques signes d’évolution. Le boisé fin est complété de fraise et supporte l’ensemble. Nous pensions ce Pauillac quelque peu fatigué et à bout de souffle mais il n’en est rien : étonnamment il gagne en ampleur à l’aération et nous fait bien plaisir sur le plateau de fromages. Je peux vous garantir qu’il n’a pas encore dit son dernier mot, d’ailleurs je suis persuadé que les quelques bouteilles qu’il me restent ont encore quelques années devant elles.

Nous terminons ce repas par une surprise liquoreuse généreusement offerte par Fabrice dans une belle carafe. Sa robe ambrée orangée surprend, d’ailleurs certains d’entre nous pensent qu’il est impossible que ce vin nous vienne d’Alsace… Le Sylvaner « Tête au Soleil » 2004 du Domaine Léon Boesch est un souvenir unique pour Matthieu Boesch, le producteur émérite de cette cuvée, car elle n’a été faite que sur ce millésime à partir de raisins passerillés (d’où la couleur…). Les quelques rangs de Sylvaner plantés dans le haut du Grand Cru Zinnkoepflé de Westhalten ont mûri si vite cette année-là que le vigneron s’est mis à rêver à produire une sélection de grains nobles à partir de ce cépage, chose interdite pour daigner obtenir l’appellation d’origine… Bien lui en a pris puisque cette « Tête au Soleil » est une grande réussite : sa complexité au nez évoque tour à tour la cannelle, le miel, les fruits jaunes confits, l’abricot ainsi qu’une fine évolution citronnée. Le tout est sans excès et d’une fraîcheur déconcertante en bouche : la liqueur est présente mais la deuxième partie de bouche se veut fraîche et finement citronnée. La finale gagne en puissance et offre une pointe solaire digne du Zinnkoepflé mais c’est avant tout l’équilibre hallucinant entre richesse et finesse qui nous interpelle. Au final nous avons affaire à un liquoreux de grande classe qui brille par sa maturité et son énergie. Bravo !

 

Que dire de cet après-midi ? Une fois de plus notre équipe de dégustateurs a eu la chance de goûter à de grandes choses dans une atmosphère hautement conviviale. Cette fois-ci nous avons fait la part belle à la Vallée du Rhône avec un Condrieu majestueux suivi d’un Clos des Papes généreux et Gourmand pour ensuite finir par l’histoire de ce Rasteau et d’un Domaine Gourt de Mautens que je dois mieux connaître. Mais je dirais presque que la vedette a été volée par un Vin de Table, cette Terre Inconnue d’une rare délicatesse qui n’a rien à envier, ni aux plus belles Syrah de la Vallée du Rhône ni à d’autres super stars du Languedoc-Roussillon ! Mention spéciale pour le Champagne Comtes de Champagnes 2005 ainsi que ce Sylvaner « Tête au Soleil » 2004 flamboyant. Au final nous pouvons une fois de plus parler d’une journée des plus réussies, pour la 6è année de suite !

In vino veritas
Thomas

P.S.: Pour référence, voici le compte-rendu de chacune de nos retrouvailles depuis 2008, avis aux intéressés: 2013, 2012, 2011, 2010, 2009… Vivement la prochaine, apparemment nous n’attendront pas une année de plus !

Quitter la version mobile