In Vino Veritas

Grande soirée Riesling

Au cours d’une belle soirée d’automne Christian nous a réunis chez lui pour partager ses plus beaux Riesling d’Alsace en compagnie de Jean Boxler, ami de longue date. Avec lui nous avons passés en revue bon nombre de Grands Crus alsaciens à la maturité différente, oscillant du Riesling Grand Cru Mandelberg 2010, Bott-Geyl ou encore le fameux Riesling Grand Cru Eichberg 2010, Emile Beyer aux plus vieux comme le Riesling Grand Cru Sommerberg 1990, Albert Boxler… Soit 20 ans de voyage !

 

Christian est un ami dégustateur de longue date avec qui nous avons avons déjà partagé d’excellentes bouteilles par le passé. Nos routes se sont recroisées récemment et c’est avec plaisir que je le revoie très régulièrement pour de nouvelles aventures viniques. Cette fois-ci nous avons parcouru l’Alsace à la découverte de ses multiples terroirs avec un fil conducteur tout au long de la soirée : le Riesling.

Longtemps je ne pensais pas pouvoir participer à cette soirée en raison d’une charge de travail trop importante, cependant quoi de mieux qu’une retrouvaille entre amis pour oublier nos tracas quotidiens et repartir du bon pied ! Alors que mes acolytes ont déjà lancé les hostilités dans la cave au sous-sol, je me retrouve seul devant la porte d’entrée sans que personne n’entende la sonnerie. Heureusement Christian s’est douté de mon arrivée et m’a ouvert sans que personne ne m’entende au fin fond de la cave à vins ! Je les rejoins enfin en me disant que les deux premières bouteilles devaient avoir parfaitement remplies leur rôle. Tout d’abord le Riesling Grand Cru Mandelberg 2010, Bott-Geyl provient d’un domaine en plein essor, d’après bon nombre de spécialistes, qui produit ici un vin suave et chaleureux sur ce terroir à dominante calcaire. Plutôt exotique et riche en fruit jaune, il délivre au palais toutes les promesses d’un vin de terroir exposé plein sud : souple, rond et exotique, il contient certainement quelques grammes de sucre résiduel. Une acidité crayeuse et légèrement saline conclut l’ensemble sans être particulièrment long. Il est secondé par une vieille connaissance : le Riesling Grand Cru Eichberg 2010 d’Emile Beyer… Nous avons eu l’occasion de découvrir les Eichbergs de Christian Beyer il y a quelques mois (voir par ailleurs) ; lors de cette soirée ce vin se montre encore discret et poussiéreux au nez avec des nuances subtiles de calcaire, d’agrumes et de rhubarbe. Toute la grandeur d’un Riesling monacal, rocailleux et calcaire s’exprime en bouche : ses nuances citronnées sont supportées par une acidité vive. Un vin encore trop jeune à ce stade mais qui sera royal en gastronomie dans quelques années / décennies… quand puissance et fraîcheur ne formeront plus qu’un !

La série suivante oppose deux terroirs granitiques. Tout d’abord le Riesling Grand Cru Schlossberg 2007, Domaine Weinbach provient d’un des climats les plus favorables à ce cépage dans la région. Les soeurs Faller en font plusieurs cuvées, dont la Cuvée Sainte-Catherine issue des parcelles les plus prestigieuses. Ici il s’agit de la cuvée classique (dont j’avais gardé un bon souvenir sur le millésime 2003) : son nez profond et discret précède un vin solaire qui a ingurgité toute la chaleur de cette année chaude et précoce. Des notes végétales (houx, églantine) s’expriment mais rien de plus, ce qui suggère que ce vin n’est pas au mieux de sa forme. Le manque d’équilibre ainsi que la fin de bouche chaude et amère le confirment. Face à lui le Riesling Grand Cru Sommerberg « E » 2007, Albert Boxler est le premier vin présenté en présence de son producteur. Issu des pentes vertigineuses de l’Eckberg (une parcelle du Sommerberg – voir l’illustration ci-dessus), là où les vignes de Riesling s’enracinent au plus profond de la roche, ce vin procure un grand plaisir en bouche. Les fortes nuances minérales sont portées par des notes gourmandes d’agrumes (pamplemousse, orange) qui se combinent déjà très bien à ce stade. Contrairement au vin précédent celui-ci est un réel plaisir à boire, en alsacien on dit « süffig » ! L’essence même du vin en somme ! A boire ou à garder pendant de longues années…

Nous profitons d’un petit intermède pour casser la croûte et nous délecter d’une tourte au jambon délicieuse en compagnie d’un Pinot Noir 2008, Albert Boxler des plus fringuants et fruités. Il est juste à point en ce moment… Mais revenons à notre Riesling tant aimé après cette pause bien méritée. Nous poursuivons notre série par un Riesling Grand Cru Sommerberg 2002, Albert Boxler qui suggère une année froide dès le premier nez : la roche mouillée, le minéral discret sont portés par un fond mûr. La bouche elle aussi dévoile des notes exotiques et finement épicées ainsi que la mirabelle sur une base finement acidulée. Lumineux, touché par un léger bortytis, ce vin est un des plus beaux exemples de l’excellence sans l’exubérance ! Et voici que le Riesling Grand Cru Kastelberg 2000 de Rémy Gresser nous emmène sur des routes beaucoup plus sinueuses. Le brûlé, le caramel et la fleur séchée forment un nez déroutant et réduit qui est envahi par le souffre. Après 30 minutes dans le verre le tilleul et la cannelle se dégagent. Cependant la bouche discrète, sans expression aromatique particulière à ce stade est portée par cette puissance brûlante qui provient de ces sols schisteux uniques dans la région. Notre perception ce soir-là ne fut pas des plus positives toutefois Christian m’a indiqué qu’il était bien plus en verve le lendemain matin… Un vin unique lors de cette dégustation !

La bouteille suivante nous emporte dans l’univers des vins plus vieux. Sa couleur or, son expression fumée et ses notes minérales (presque volcaniques) sont portées par la Tarte Tatin puis des notes secondaires de champignon, de sous-bois et de céréales torréfiées : tel un Whisky ! La bouche brille par sa profondeur et sa distinction. Le fruit mûr s’est flétri (coing vieux), le terroir a pris le dessus et confère toute l’allonge à ce vin de garde qu’est le Riesling Grand Cru Sommerberg 1990, Albert Boxler. Un témoignage, encore vinifié par le père de Jean Boxler, qui démontre toutes les qualités de vieillissement de ce cépage lorsqu’il est sublimé par un grand terroir… Il est challengé par le Riesling Grand Cru Rangen de Thann Vendanges Tardives 1994, Schoffit à la robe tout aussi charmante et aux arômes de pâte de fruits, de cannelle avec une évolution mature malgré un léger défaut lié au bouchon. La bouche est légèrement déviante, malheureusement, mais somme toute intéressante car dotée d’une juste maturité. Il manque cependant d’originalité et de relief par rapport au vin précédent.

La dégustation officielle s’arrête là, avec trois coups de coeur : le Riesling Eichberg 2010 d’Emile Beyer, le Riesling Sommerberg « E » 2007 d’Albert Boxler ainsi que le Riesling Sommerberg 1990 d’Albert Boxler qui, signalons-le au passage, avait la mission de remplacer un Riesling Grand Cru Brand 1990 du même producteur bien bouchonné ! Quelques bouteilles supplémentaires sont encore proposées à notre retour dans le séjour pour accompagner un plateau de fromages puis le dessert. Par exemple le Riesling Plänzerreben de Rorschwihr 1996 de Rolly Gassmann est un vin d’une grande distinction avec ses notes d’agrumes et d’ananas. Quelle jeunesse et quelle puissance en bouche ! Les arômes du nez se retrouvent au palais rehaussées de traces de cannelle et d’épices. Ce producteur construit assurément des vins taillés pour la garde car il n’hésite pas à souffrer généreusement lors des mises. Ce vin d’une jeunesse éclatante en est l’exemple parfait mais il a su conserver toute sa droiture et son fruit sans altérer sa pureté. Puis le Riesling Vendanges Tardives 2007 de José Ebelmann, producteur renommé pour ses vins moelleux sur les pentes du Grand Cru Zinnkopflé de Soultzmatt, brille par ses notes de fleurs et de fruits exotiques avec un petit fond acidulé (tel un bonbon Arlequin !). La bouche vive et énergique en attaque s’allonge finement sur le citron confit pour supporter la matière liquoreuse, même si le tout est un peu pataud en fin de bouche.

Nous terminons ce voyage en Alsace par le Tokay Pinot Gris Sélection de Grains Nobles 1989 du Domaine Hugel. Sa robe brillante vire sur l’acajou, son nez patiné par les âges offre une multitude de nuances de cannelle, de figue confite, de bois noble, de tabac enrobé de miel, de sirop d’érable et de cire. La bouche respire la pureté et la maturité d’un grand vin. Issu de cette année mémorable pour laquelle la maison historique de Riquewihr a fêté sa 350è vendange et prolongé la récolte jusqu’au 9 novembre (!) cette SGN bénéficie de la finesse et de la minéralité de son terroir calcaire du Sporen. Sa suavité et sa rondeur patinée sont portés par la caramel mou, le thé et le miel avant que la fin de bouche, grasse et gourmande ne fasse ressortir de grands amers qui nous invitent à en boire encore et encore. Avec un degré potentiel de 21.7°, on entre dans le monde des grands liquoreux qui grâce à leur équilibre divin nous invitent à l’éternité ! Dommage que son concurrent du soir, le Clos Naudin 1989 du Domaine Foreau, ait été frappé par un goût de bouchon car nous aurions touché là aux sommets des vins blancs sucrés de France…

 

C’est avec ces vins liquoreux que nous clôturons cette soirée alsacienne dédiée à l’un des plus grands cépages blancs au monde : le Riesling. Une ode à la gastronomie et aux terroirs multiples de cette région encore méconnue mais à la force singulière. Merci de tout coeur à Christian pour son invitation à cette dégustation et à notre groupe d’un soir pour sa convivialité et son amour du vin.

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