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Stéphane Vignon & Christophe Boutet font la paire

Par 18 novembre 2015novembre 19th, 2015Non classé

Les Avinturiers, toujours avides de découvertes, ont invité deux vignerons lors d’une soirée dégustation haute en couleurs. Stéphane Vignon & Christophe Boutet, respectivement des Champagnes Vignon Père et Fils à Verzenay et du Domaine Boutet-Saulnier à Vouvray, nous ont rendu visite pour nous faire découvrir leurs talents de vignerons, avec en prime quelques superbes bouteilles: Champagne Grand Cru « Réserve des Marquises » 2012 ; Vouvray demi-sec « Harmonie » 2014 ; Champagne Grand Cru Verzenay « L’Aura des Marquises » 2008 ou encore Vouvray moelleux 1990. Et je ne vous ai pas tout dit !

 

Alors qu’il peut paraître inhabituel le thème de cette soirée fait honneur à deux vignerons qui travaillent avec la même philosophie, à l’écoute et avec grand respect de leurs terroirs. Stéphane Vignon & Christophe Boutet, amis de longue date puisqu’ils ont fait leurs classes ensemble au lycée viticole de Rouffach en Alsace, nous ont rejoint au Restaurant Au Canon d’Or à Mulhouse pour une soirée riche en émotions.

Tour à tour chacun des producteurs nous propose une brève présentation de leurs domaines. Placide et plutôt discret, Christophe Boutet gère le Domaine Boutet-Saulnier situé à Vouvray. Au coeur d’un vignoble qui couvre 2000ha aux abords de la ville de Tours, il cultive 12ha de vignes sur les appellations Vouvray et Montlouis-sur-Loire. Ses Chenins grandissent sur des sols argilo-calcaires avec différentes parcelles, certaines en terrasses en surplomb du fleuve, d’autres en coteaux, mais toujours au contact du tuf’ comme on le nomme là-bas ! Christophe aime travailler les vins effervescents et les vins tranquilles, ses « spécialités ». Après plusieurs années au climat précaire et turbulent dans la région, il promet des années 2014 et 2015 de très bonne facture. Nous aurons la chance ce soir de nous faire une idée du millésime 2014 sur la gamme de Vouvray, avant de remonter le temps…

Vouvray et champagne

Plus prolixe et virevoltant, Stéphane Vignon exploite le domaine familial de 5.81ha explosé sur 55 parcelles différentes ! Vous comprendrez que le travail de ce vigneron se veut méthodique et fidèle à la sensibilité de chaque terroir. La majorité de ses terres se trouvent dans le coeur historique de la Montagne de Reims, dans les grands crus Verzenay et Verzy. Pour la petite histoire le Grand Cru Verzenay figurait déjà au premier classement des vins de Champagne à la fin du 19è siècle, en compagnie d’autres grands noms comme Aÿ pour la Vallée de la Marne et Cramant pour la Côte des Blancs. A ce jour le classement compte 17 Grands Crus dont la majorité sur la Montagne de Reims. Stéphane travaille en fûts de chêne et n’a jamais boudé le parcellaire même si, à l’époque de la production en masse, cette approche pouvait paraître dépassée. D’ailleurs il se fiche bien d’être considéré comme « le fou du village »… Il ne revendique pas non plus la culture biologique : à quoi bon quand les parcelles « ont la taille d’une salle à manger et que tous les voisins arrosent » ! Intrépide et indépendant, Stéphane Vignon produit des vins de caractère qui sont fidèles à la typicité des Champagnes de la Montagne de Reims, et à lui-même.

Place aux vins ! La première série s’ouvre avec le Vouvray sec 2014 du Domaine Boutet-Saulnier. Doté d’une couleur pâle et très claire, il propose un nez tout en finesse, à la fois floral et d’agrumes. Ce vin sec joue avant tout sur la finesse en complément d’une belle maturité de fruit. La fin de bouche, droite et portée par des fines notes de fleur d’acacia et d’abricot, est cependant légèrement amère à mon goût. S’en suivent deux Champagnes, en débutant avec le Champagne Grand Cru Verzenay « Potences Rochelles » de Vignon Père et Fils. Issu de vignes en bas de terroir, sur la craie pure, il se compose uniquement de Chardonnay sur le seul millésime 2012. A peine dégorgé (fin août 2015), son nez mûr et complexe alterne le fruit (pêche blanche, groseille) et des belles notes d’élevage (miel, amande). La bouche est l’incarnation parfaite d’un grand Blanc de Blancs sur un terroir calcaire : à la fois vif et iodé, il est doté d’une bulle fine avant de plonger dans une finale crayeuse et minérale. Nous avons affaire à un vin en 2 facettes, fruité et concentré de prime abord (groseille, rhubarbe) puis axé sur la minéralité du lieu. Bref, une entrée de gamme en grande pompe ! Enfin notre mise en bouche se conclut avec un Champagne rosé « Les Vignes Goisses » provenant du village de Verzy, lui aussi classé en Grand Cru sur la Montagne de Reims. Pur 2011, il est issu d’une vieille vigne de Pinot Noir datant de 1965. Sa robe saumonée resplendit, la bulle est fine et discrète. La fraise intense et aromatique jaillit du verre, portée par une note gourmande de rhubarbe en compote. Alors que nous nous attendons à un vin onctueux et sensuel après l’examen olfactif, la bouche paraît plus austère et plus retenue malgré une concentration remarquable, preuve en est que le tout n’est pas encore à pleine maturité. Carafez ce Champagne pour vos fêtes de Noël et faites vous plaisir sur ses notes de quetsche, de cerise et de fraise. Mais ne vous méprenez pas, il s’agit d’un Champagne puissant et droit dans ses bottes !

Après cet apéritif des plus réussis nous passons à table avec l’objectif d’accompagner un filet de cabillaud à la tomate et purée verte. Le Champagne Grand Cru « Réserve des Marquises » 2012 provient de vieilles vignes de 40 à 70 ans sur les deux communes de Verzy et Verzenay, la plus vieille parcelle datant de 1947. 2012 fut un millésime tardif mais ô combien réussi selon Stéphane qui se souvient avoir vendangé en octobre, quand tout le monde avait déjà tout rentré… A ce stade soit peu de temps après le dégorgement, il est encore discret au nez, avec des soupçons de fleurs blanches et de minéral mais l’on sent déjà une profondeur indéniable. La bouche pleine brille par sa présence et son grand équilibre, porté par un Chardonnay mûr et juteux ainsi qu’un Pinot Noir puissant (respectivement 35% et 65% de l’assemblage total). La finale, saline et profonde, accentue cette sensation d’être en présence d’un grand Champagne en devenir. Un coup de coeur pour ma part ! Le Champagne Grand Cru « Réserve des Marquises » 2011 bénéficie quant à lui d’un an de vieillissement supplémentaire mais joue dans un registre différent. Vendangé le 23 août, après un été caniculaire, il propose un nez mature et complexe sur le miel et le fruit blanc, avec des tons épicés. Ample et franc au palais, il s’étire jusque dans une finale chaleureuse et pleine. Plus immédiat que son cadet, il a néanmoins moins de potentiel que le 2012. Nous poursuivons avec le Vouvray sec « Le Clos » 2014 du Domaine Boutet-Saulnier, servi en avant-première lors de cette soirée. Christophe Boutet exploite cette parcelle de la manière la plus naturelle possible, s’inspirant de techniques biodynamiques. Les sols sont labourés au cheval, l’usage de produits dans la vigne se limite au cuivre et au soufre et les rendements sont contenus. La majesté du Chenin blanc inspire dès le premiez nez floral, profond et d’une grande élégance. Le citron pointe à l’aération. Passé une entrée de bouche fine et discrète nous sommes en présence d’un vin à la matière pleine, propre et vive qui évolue déjà bien au palais. Passée une légère austérité ce Vouvray sec termine sur des tons minéraux et des amers profonds. Il nous reste à peine la fin du plat pour nous régaler sur le Vouvray demi-sec « Harmonie » 2014 du Domaine Boutet-Saulnier. A la fois précis et minéral au nez il s’ouvre sur des belles notes de pêche jaune, de mangue et de pierre blanche, le tout porté par le sucre candy. Cette salade de fruits séduit en bouche et malgré 25g/L de sucre résiduel, ce vin demi-sec se veut résolument incisif. Sa vivacité tranche bien avec la matière et se marie bien avec la sauce du poisson. Une vraie réussite en plus d’être un excellent rapport qualité-prix (7€ au domaine).

L’intermède nous permet de profiter de trois superbes Champagnes de la maison Vignon Père et Fils, tous extra-bruts soit à moins de 6g/L de sucre. Ce soir Stéphane Vignon nous offre ce qu’il fait de mieux : nous débutons avec le Champagne Grand Cru « Les Marquises » 2007, fait à partir de 35% de Chardonnay et 65% de Pinot Noir. Ce Champagne élevé selon la plus pure tradition provient des meilleures parcelles du domaine, sur les comunes de Verzy et de Verzenay. Son premier nez reflète un ensemble mûr avec des notes d’élevage charmeuses et élégantes, tantôt sur le miel et le pain d’épices, tantôt sur les fruits confits et le beurre au sucre. Sa grande maturité appelle un foie gras à la mangue selon Stéphane, d’ailleurs il n’hésite pas à nous dévoiler cette recette simple créée par Paul Bocuse… Miam ! La bouche brille par sa plénitude, sa maturité, sa gourmandise et sa largesse. La minéralité du terroir prend le relais en finale, alliant la générosité de la matière à la sapidité et la longueur du vin. Une grande réussite. Issu d’un millésime exceptionnel, probablement dans la lignée du grandissime 1996, le Champagne Grand Cru « Les Marquises » 2008 s’exprime moins malgré des notes de pêche de vigne et de citron confit, le tout soutenu par une minéralité très présente. La bouche saline, vive et minérale en impose ; son corps sec, droit et une trame acide seront les gages de sa longévité. En effet ce Champagne est parti pour durer. Il impressionne par sa puissance mais aussi par son adhésion à son terroir. Pour terminer Stéphane nous propose sa cuvée fétiche, la première du nom sur ce millésime 2008 : le Champagne Grand Cru Verzenay « L’Aura des Marquises » 2008 est un assemblage à parts égales de Chardonnay et de Pinot Noir que Stéphane affectionne tout particulièrement. Le premier nez fleure bon la gentiane, les herbes séchées et les épices en plus d’une palette fruitée très mûre. Alors que « Les Marquises » 2008 sont encore inhibées par leur sévérité juvénile, « l’Aura des Marquises » 2008 représente un pas de plus vers l’excellence : ce Champagne d’équilibre et de plénitude bénéficie de la balance et de la complémentarité du Pinot Noir et du Chardonnay, en plus de transmettre l’expression du seul terroir de Verzenay. Une sorte de fusion parfaite, de ying et de yang qui gagne encore en complexité avec du temps dans le verre. Ces Marquises dansent, virevoltent, comme sublimées par un coup de baguette magique. Un Champagne brillant et scintillant de classe. Bravo !

Vouvray moelleux 1990 - Domaine du Bas RocherL’heure est au dessert avec un moelleux au chocolat et sa glace vanille. L’accord avec le Vouvray moelleux 2014 du Domaine Boutet-Saulnier se fait sans problème même si ce dessert au chocolat appellerait plutôt un vin rouge. Le nez est doté d’une belle fraîcheur minérale puis s’ouvre sur le jasmin, le miel d’acacia et les fleurs de montagne. Son volume de bouche peut paraître un peu entêtant car sa fine amertume s’accentue un peu trop au palais. Le Vouvray moelleux « l’Hédoniste » 2014 du Domaine Boutet-Saulnier a encore un petit supplément de matière par rapport au vin précédent avec des belles notes de poire et un fruité juteux en bouche. Les deux vins sont encore sur la réserve et gagneront à vieillir un peu, comme par exemple le Vouvray moelleux 1990 du Domaine du Bas Rocher que Christophe Boutet nous a sorti de sa cave personnelle (il porte encore l’ancien nom du domaine). Ce vin porte en lui l’aboutissement de la garde des grands moelleux de Vouvray malgré un défaut liégeux qui s’accentue à l’aération. Avant cela la mirabelle, l’orange cuite, la cannelle et des fines notes chocolatées tirent leur épingle du verre ! Il est clair que le goût de bouchon, même minime, prend le dessus à la dégustation ; il n’empêche que l’équilibre et la profondeur de ce vin sont indéniables. Quel dommage ! Pour nous consoler Gilles, de retour des cuisines, lui a opposé un concurrent de style avec le Vouvray moelleux 1990 de Sylvain Gaudron que nous avions déjà eu le privilège de goûter il y a quelques années (voir ici). Encore une fois ce Vouvray est absolument brillant de subtilité et de majesté. Le nez respire le miel d’acacia, le tilleul et la mandarine. En bouche l’équilibre est diabolique entre une liqueur élégante, sans excès, et une acidité fine et d’une fraîcheur incroyable. L’harmonie entre les deux impose le respect ; la quinine donne de l’élan à une finale longue, harmonieuse et scintillante. Finesse, brillance, grand fond, ce vin est absolument génial ! C’est alors que les débâts s’ennivrent : Christophe Boutet nous apporte alors une bouteille bourguignonne d’un autre temps et sans étiquette. Il sert tour à tour tous les communiants qui réclament ne serait-ce qu’une goutte de Vouvray moelleux 1947. Ce vin exhibe une robe sombre et acajou digne d’un grand vin vieux. Comme marqué au fer rouge d’un millésime exceptionnellement chaud et caniculaire qui est resté dans les annales, ce Vouvray 1947 offre aussi un nez d’une intensité singulière et rare pour un vin de 68 ans. Le caramel, le chocolat, le tabac et le pruneau se démarquent, le thym et les épices complètent le nez de ce grand vin à la complexité assagie. Une fois en bouche le vin se pose : il nous observe, nous le contemplons. Sa prestance est remarquable, il ne manque pas l’occasion de nous émouvoir tout d’abord en brillant tel un jeune fou, puis en s’asseyant paisiblement, comme affabli par son grand âge. Christophe nous a fait un cadeau personnel et intime car il a partagé un vin d’histoire produit par son grand-père, et nous l’en remercions chaleureusement !

Vouvray 1990-1947 - Christophe Boutet

La soirée se termine encore avec d’autres surprises grâce à la générosité de Christian, Avinturier de la première heure. Nous nous délectons d’un vin de terroir qui respire la roche qui l’a vu naître : le Riesling Heissenberg 2009 d’André Ostertag servi en magnum étonne par sa couleur claire aux reflets tilleul. Ce vin prouve que le cépage n’est que le vecteur d’expression du sol granitique et de grès rose de ce terroir de Nothalten. Intensément minéral, violent de caractère (épices, quinine), il est le témoin de la conjonction parfaite entre la force du climat et la force du terroir. Même un peu trop pour certains : quoi qu’il en soit, c’est un vin d’amateurs. Enfin, et comme la générosité s’écrit avec une grand G comme Gilles, le chef du restaurant nous offre un ultime trésor de sa cave tant convoitée avec le Muscat 1953 de Preiss Henny à Mittelwihr. A la fois épicé, minéral et porté par les fleurs séchées, il pourrait être pris à tort pour un Gewurztraminer. Il n’empêche que sa force réside dans un minéralité sous-jacente parfaitement dosée. Moins exubérant que le 1947 goûté précédemment, il démontre néanmoins toute la beauté de vins dans la fleur de l’âge. Récolté le 2 novembre 1953, imaginez-vous !

 

Ce Muscat 1953 est, avec les autres grands vins servis précédemment, l’apothéose d’une soirée d’amitié et de partage entre amateurs. Merci à Stéphane Vignon, Christophe Boutet ainsi qu’à Gilles Reeb, pour leur sympathie et leur passion du métier.

Champagnes Vignon Père et Fils, 10 rue Colet, F-51360 Verzenay
Tél.: 03 26 49 80 39, vignon.marquises@orange.fr
Domaine Boutet-Saulnier, 17 La Vallée Chartier, F-37210 Vouvray
Tél.: 02 47 52 73 61, christophe-boutet@wanadoo.fr

In vino veritas