Etoile montante du paysage viticole alsacien Christian Beyer (du Domaine Emile Beyer à Eguisheim) a rencontré les Avinturiers lors de la première soirée de 2014 au Restaurant Au Canon d’Or de Mulhouse, tout fraîchement auréolé de son titre de Cave de l’Année par la Revue des Vins de France… Bref, que des étoiles ! Coup de projecteur sur cette série de six millésimes du Riesling Grand Cru Eichberg, entre 2012 et 2002, agrémentée de deux surprises apportées par le vigneron.
Les Avinturiers, cette jeune et dynamique association créée il y a quelques mois, a débuté cette année en plein rêve : notre QG, le restaurant Au Canon d’Or à Mulhouse-Dornach, vient de recevoir le Grand Prix de l’Année de la part de la Revue des Vins de France (RVF) pour sa carte des vins ! Bravo donc à Marie-Laure et Gilles Reeb, nos hôtes qui nous accueillent tous les mois depuis notre création. Ce prix constitue la meilleure récompense pour ces passionnés de vin qui oeuvrent depuis plus de 10 ans pour rassembler les meilleurs vins de France et du monde à leur table. Par ailleurs à l’occasion de cette première soirée de l’année 2014 nous avons l’honneur de souhaiter la bienvenue à Christian Beyer, le vigneron du Domaine Emile Beyer à Eguisheim, pour nous présenter en chair et en os le fruit de son travail passionné.
Eguisheim, le village préféré des Français (!), est aussi et surtout un des berceaux de la viticulture alsacienne qui trouve ces origines à l’époque romaine. Avec ses 350ha de vignoble exploité, c’est aussi un des plus grands bans de la région. Ses terroirs à dominante calcaire et marno-calcaire permettent au Riesling et au Gewurztraminer d’y trouver les meilleures conditions. Christian Beyer nous présente les terroirs, ses lieux d’expression et d’identité, avec émotion : d’une part le Grand Cru Pfersigberg (« la colline des pêchers ») qui s’étale sur plus de 70ha à l’ouest de la commune avec des expositions sud sud-est qui procurent un ensoleillement et une précocité singulière au Riesling et au Gewurztraminer, et d’autre notre thème du soir à savoir le Grand Cru Eichberg (« la colline des chênes »). Doté d’un microclimat sec, chaud et de sols à dominante agrilo-calcaire, l’Eichberg est le compagnon idéal du Riesling. Ca tombe plutôt bien puisque 6 vins différents de ce cru sont à la dégustation ce soir…
Mais avant parlons brièvement du domaine et des Beyer. Cette famille trouve ses origines dans le village d’Eguisheim depuis la fin du 16è siècle. A ne pas confondre avec Léon Beyer, plus connu pour ses importantes productions et aucune revendication de terroirs, le Domaine Emile Beyer est aujourd’hui géré par Christian qui représente la 14è génération de cette famille. Le domaine s’étend sur 17ha dont près d’un tiers en Alsace Grand Cru avec d’autres lieux-dits connus du village comme le Hohrain par exemple. Christian est à la recherche de la plus pure expression de ces terroirs : c’est pourquoi il s’est converti à la viticulture bio dès 2005 avec une certification du domaine attendue pour l’année prochaine… Il nous justifie sa démarche avec passion et conviction en se concentrant sur l’importance du travail à la vigne et les bénéfices de la vinification sur lies entières. Il a aussi récemment investi dans l’expansion du domaine en modernisant la cave (nouveaux locaux à l’extérieur du village) ; il a troqué les foudres pour des cuves inox afin de préserver le fruit et l’expressivité des vins, quitte à « comprimer » les vins dans leur jeunesse (phénomène d’oxydo-réduction) ; enfin il a planté le Clos Lucas Beyer, une parcelle de Riesling unique de 2.5ha située au coeur de la faille du Pfersigberg, avec une densité élevée (9000 pieds/ha) et des porte-greffe de la plus haute qualité pour produire dans quelques décennies l’un des tous « meilleurs Rieslings du monde, comme le Clos Saint-Hune » (sic). Vous l’aurez compris, Christian Beyer est un acteur, pas un suiveur, un passionné de terroirs dont l’ambition est grande et légitime : porter au plus haut ses vins et sa région ! D’ailleurs plus de la moitié de la production est aujourd’hui exportée dans le monde entier, en particulier les Etats-Unis, le Japon ou l’Europe du Nord.
Maintenant que le décor est planté, passons à ce qu’il y a dans la bouteille ! Tous les vins proposés dans cette verticale sont issus de deux différentes parcelles dans le Grand Cru Eichberg, plantées respectivement en 1974 et 1977. Le Riesling Grand Cru Eichberg 2012 dévoile une robe or clair, brillante et limpide. Issu d’un millésime classique, comprenez avec des conditions climatiques normales, ce vin a été relativement facile à vinifier selon Christian, qui déplore indirectement le manque de challenge pour le vigneron ! Mis en bouteille en juin 2013 il exprime au nez un beau fruité composé de pêche de vigne, de pamplemousse avec une évolution complexe sur les agrumes et l’eucalyptus. Le fond minéral est sous-jacent et ne demande qu’à s’épanouir. L’attaque en bouche se veut classique avec un fruité encore en retrait mais qui surgit dans une finale minérale, légèrement saline avec une rétro-olfaction sur la pêche et le citron confit. Ce vin sec (5g/L de sucre résiduel) est doté d’une belle acidité et se prolonge dans une longueur ensoleillée. En somme nous débutons avec un vin classique, encore discret mais harmonieux et fidèle à son terroir. Face à lui le Riesling Grand Cru Eichberg 2010 se distingue par une robe plus majestueuse, à la fois dorée et profonde. Le nez évoque d’emblée la cire et le caramel puis prend des tons zestés qui se déclinent sur les agrumes et une pointe exotique. Je l’ai gardé longtemps dans le verre (oui, j’ai résisté !) tout en évoluant favorablement au nez et en dévoilant une grande amplitude. La bouche est ample, volumineuse et suggère le miel en attaque. Plus riche que le vin précédent il offre une maturité impressionnante (sucres résiduels de 8g/L) associée à une grande pureté du fruit : l’orange, la pêche blanche et la badiane se distinguent tour à tour. L’équilibre est magistral car ce vin riche est contrebalancé par une acidité tranchante et rafraîchissante (8g/L) ; issu de rendements de 18hL/ha, le résultat est là ! Pour moi le vin de la soirée !
Nous avons en accompagnement des deux vins suivants une terrine de gibier aux noisettes et son chutney de coing. Le Riesling Grand Cru Eichberg 2007 est le fruit d’un millésime tardif, avec un mois de septembre particulièrement chaud et humide qui a favorisé le développement du botrytis. Je retrouve, comme dans presque tous les vins présentés dans cette verticale, des notes primaires de citron confit et de pêche fraîche. S’en suit une évolution complexe et épicée qui décline une salade d’agrumes (mandarine, orange sanguine). L’attaque veloutée du vin ainsi que sa richesse résultent très certainement de ce millésime mais peut-être aussi du vieillissement en foudre : d’ailleurs je retrouve une légère touche amère qui est très vite effacée par un botrytis discret, toujours dans un registre plus riche que les vins précédents. L’acidité est présente et procure de la fraîcheur sans pour autant être tranchante. D’un autre côté le Riesling Grand Cru Eichberg 2005 offre d’emblée une harmonie et une dimension qui donnent toute la mesure d’un grand millésime. Le nez, parfaitement intégré, presque patiné, dévoile le citron, le zeste d’orange, un soupçon d’hydrocarbure ainsi qu’une touche de noisette et de sous-bois. La bouche impose toute la classe d’un vin de noble origine issu d’un grand millésime. Il nous est cependant plutôt difficile d’isoler le cépage, d’ailleurs nous nous dirigeons volontiers sur un Chenin. Pour la petite anecdote sachez que selon Christian Beyer, le Riesling pourrait bien trouver ses origines en Loire à partir d’un cépage aujourd’hui disparu, l’Orléanais… Ce 2005 offre une grande dimension et une harmonie dignes d’une grande année, la finale sapide reprend des notes de cire mêlées au minéral. Un Riesling surprenant mais ô combien réussi !
Dernier duo de cette soirée, les millésimes 2004 et 2002 accompagnent avec brio le dos de cabillaud vapeur sur lit de choucroute rouge et rattes poêlées. Derrière sa belle robe dorée, le Riesling Grand Cru Eichberg 2004 affiche encore une grande jeunesse. Mais selon Christian Beyer ce fut un accouchement difficile, cette année 2004 ayant été froide et humide. Du coup le vin n’affiche pas des statistiques étonnantes en terme de maturité et se montre plutôt discret au nez, avec des nuances d’agrumes, de pêche et d’huile de lin. La vivacité des agrumes, et du citron en particulier, porte l’ensemble en bouche même si l’on espère un peu plus de fond. Une légère impression exotique surgit tout comme un fruité encore bien présent, cependant ce vin ne peut pas donner plus, comme si cette fois le terroir de l’Eichberg n’a pas pu être sublimé par ce millésime difficile. Saluons toutefois la performance du viticulteur qui a pu produire un vin d’une qualité décente alors que les conditions de maturité n’ont pas été idéales. C’est peut-être ça le travail d’un vrai vigneron ? Le Riesling Grand Cru Eichberg 2002 résonne bien mieux à l’oreille de tous même si une fois de plus le temps a plutôt été maussade une belle partie de l’année. Le fruit mûr, le citron confit puis l’encaustique et des notes pétrolées apparaissent au nez. Belle amplitude dès l’attaque de bouche : le citron et le pamplemousse prennent le relais et procurent une acidité fraîche qui supporte une belle matière. La bouche est froide mais aucunement austère. Je trouve que ce vin invite à la réflexion ; sa froideur monastique est supportée par cette acidité citronnée. La fin de bouche est acérée et longue. Un vrai vin de terroir qui s’affirme au mieux lors de cette dégustation. Voici un très bel exemple de ce qu’un grand terroir calcaire comme l’Eichberg peut apporter au Riesling : un supplément d’âme et un éclat tout particulier. Superbe !
En supplément de cette dégustation, notre vigneron a voulu nous faire travailler un peu plus longtemps en nous faisant déguster à l’aveugle le Barbaresco Fausoni 2004 de l’Azienda Agricola Sottimano. La belle robe rubis de ce vin rouge laisse apparaître quelques particules et suggère un vin non filtré. Au nez le vin se montre sanguin, vif, sur la griotte très mûre et le kirsch avec des évolutions tertiaires sur le fumé et le balsamique. L’attaque en bouche se veut fruitée l’espace d’un instant avant que le tout ne bascule dans un registre plus animal, je dirais même plus sauvage. Nous hésitons sur le cépage et l’origine de ce vin évolué. Peu à peu le nebbiolo paraît comme une option crédible : son tannin granuleux est porté par un fruité enrobé de charbon, de lard et de fumée. L’élégance de l’ensemble fait penser à d’autres origines françaises, puissent-elles nous emmener en Côte de Nuits ou en Rhône Nord. Finalement ce superbe exemple de vin de terroir se relance en finale grâce à une note tout à fait singulière d’oseille sauvage, dont le côté acidulé et salivant redonne de l’élan à l’ensemble. Un vin de classe, tout en distinction… Merci Christian !
En dessert le vigneron nous propose une dernière gourmandise : un Riesling Grand Cru Eichberg Sélection de Grains Nobles 1998. Le nez est d’une belle complexité et met au jour à la fois les agrumes confits, les fruits exotiques (mangue) puis le miel d’acacia, le safran et une pointe de cannelle. La bouche liquoreuse est ronde, riche et veloutée, témoin d’un très joli botrytis. Le vigneron nous informe que les grappes sont rentrées à 22° de potentiel et ont laissé environ 120g/L de sucre résiduel. La bouche évoque le pruneau, le sirop d’érable et le bois noble, la finale est supportée par une acidité zestée, qui donne un bel élan et une persistance à cette gourmandise de fin de repas. Christian nous avoue toutefois que le tout à moins de peps que le même vin sur le millésime 1995 mêm si nous avons affaire à un très bel exemple de vin liquoreux ! Certainement que son stage au Château Rieussec durant ses études n’y est pas étranger…
Ceci conclut une soirée de haut vol avec un vigneron de conviction et de coeur, Christian Beyer. A la fois ancré dans sa région et sa Terre d’origine, il est inconditionnellement ouvert sur le monde et est volontiers à l’écoute des dernières évolutions dans le domaine de la viticulture internationale. Vous comprendrez donc que le succès du Domaine Emile Beyer est sans cesse grandissant : Oslo, Stockholm, Chicago, voici ses prochaines destinations ! C’est donc avec autant plus de fierté qu’au nom des Avinturiers, je souhaite sincèrement remercier notre invité du soir qui, avec la compagnie de tout le groupe, nous a fait voyager dans les rangs de l’Eichberg. Nous avons donc tout naturellement convenu que les Avinturiers continueraient de suivre l’ascension de ce vigneron : rendez-vous est d’ores et déjà pris en 2015 à Eguisheim pour visiter, et goûter, l’autre vin star de ce Domaine, le Grand Cru Pfersigberg…
Merci à Christian Beyer, merci aussi à Marie-Laure et Gilles Reeb pour leur accueil si chaleureux et longue vie à ces séances au restaurant Au Canon d’Or, la nouvelle perle des gastronomes amoureux de bonnes bouteilles !
Domaine Emile Beyer, 7 Place du Château, B.P. 3, F-68420 Eguisheim
Tél. 03.89.41.64.21, info@emile-beyer.fr
www.emile-beyer.fr
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