Cette année encore les Avinturiers renouvellent l’expérience de la Soirée Prestige, histoire de parachever une nouvelle année riche en évènements. Nous avons mis à contribution le gardien de la cave du Restaurant Au Canon d’Or, Gilles Reeb, pour nous faire rêver : Champagne rosé brut sans année magnum, Lanson ; Corton-Charlemagne Grand Cru 1983, Louis Latour ; Riesling « Frédéric Emile » 1995 magnum, Trimbach ; Beaune 1er Cru Les Cras 1976, Caves des Moines, P. Naudin-Varrault ; Châteauneuf-du-Pape 1983 magnum, Domaine de Beaurenard ; Gewurztraminer Vendange Tardive 1990, Hugel.
Vous n’êtes pas sans savoir que la cave du Restaurant Au Canon d’Or figure parmi l’élite des caves de restaurant de France. Couronné par la Revue des Vins de France (RVF) en 2014, Gilles Reeb ne cesse d’enchanter les papilles des Avinturiers lors de leur rendez-vous de dégustation mensuel. Cette fois-ci, et comme il est de coutume pour la dernière dégustation régulière de l’année, nous avons décidé de lui laisser la main pour accompagner sa propre cuisine de vins provenant de la mine d’or du restaurant.
Je vous renvoie pour vous mettre en appétit à la Dégustation Prestige de l’année dernière : nos mémoires sont encore enchantées par un magnum parfait de Château Calon-Ségur 1947 ou encore par un exceptionnel Champagne William Deutz 1971 de la maison Deutz en grand format.
La cuvée 2015 s’annonce sous les meilleurs hospices avec pour débuter un magnum de Champagne rosé brut sans année de la maison Lanson. Daté vraisemblablement des années 1980 au vu de l’étiquette et du bouchon, il se présente avec une robe légèrement saumonée aux reflets or presque tuilés. Le cordon est encore soutenu ce qui confirme nos hypothèses quant à son âge. Le nez s’ouvre sur des notes poussiéreuses avec une évolution légère sur le toasté et la confiture de fruits rouges. Le moka, le café et des notes de cuir arrondissent un nez aromatique et complexifié par les années. L’attaque en bouche alterne le fruit rouge mûr, la fraise et le moka dans un registre mature et bien intégré. L’effervescence encore vive confère beaucoup d’élan à un ensemble bien patiné par les âges avec en arrière-plan le miel et les fruits jaunes. La finale légèrement amère est pourtant très juteuse et conclut cette mise en bouche pleine et généreuse. Ce Champagne accompagne gracieusement un potage de potiron pour nous mettre en appétit…
S’en suit une truite saumonée marinée et son espuma à la sauge en accompagnement du Corton-Charlemagne Grand Cru 1983 de la maison Louis Latour. Plus grand propriétaire dans ce Grand Cru avec 10.5ha de vignes, dont une bonne partie sur le fameux climat Le Charlemagne situé dans la meilleure partie de la colline de Corton, la famille Latour nous propose un vin à la robe or brillante qui en impose. Son nez très mûr est marqué par des notes d’élevage : la fumée, le charbon et le pain grillé se succèdent dans un ensemble d’une très grande maturité. La bouche n’est pas en reste, à la fois solaire et chaleureuse mais arrondie par un boisé très présent (vieillissement à 100% en fût de chêne neuf). Un Bourgogne à l’ancienne dirais-je car la matière et la dimension du terroir n’appellerait pas autant d’enrobage pour des standards plus récents. Néanmoins ce vin a une prestance de Grand Cru avec une race sous-jacente portée par un fruit généreux (pêche jaune, miel) et une acidité qui balance bien les notes grillées (noisette, toasté). Il ne fait pas ses 32 ans, ça c’est sûr !
Le Riesling « Frédéric Emile » 1995 de la maison Trimbach lui donne la réplique en magnum. Une couleur pâle aux reflets tilleul brillants précède un nez des plus caractéristiques de ce cépage. Incroyablement puissant et monolithique de prime abord ce Riesling s’apparente tout simplement à du sans plomb 98 au nez ! Issu des parcelles historiques situées en surplomb du domaine sur les flancs des Grands Crus Geisberg et Osterberg, ce vin arbore une puissance, une richesse de corps ainsi qu’une acidité extrême, presque douloureuse. On sent une évolution citronnée au palais mais c’est avant la virilité du vin qui ressort jusque dans une finale sapide aux accents salins. Même après 2 heures dans le verre, l’acidité de ce Riesling est encore démoniaque même si la palette aromatique s’ouvre quelque peu : ananas, ylang ylang, fruits exotiques, agrumes. La forte personnalité de ce « Frédéric Emile » appelle une garde encore supplémentaire, surtout dans ce format, afin d’en profiter pleinement. Quelle claque !
Le contraste entre le Grand Cru de Bourgogne rond, généreux et l’Alsace fougueux et juvénile est saisissant. Les deux vins servis en accord avec le quasi de veau, légumes et pommes rattes ont quant à eux bénéficié de l’apaisement des années. Tout d’abord le Beaune 1er Cru Les Cras 1976 de P. Naudin-Varrault est une incroyable surprise. Produit par cette maison de négoce basée à Santenay, ce vin porte la mention de la cave des Moines de l’Abbaye de Maizières à Beaune sans que nous sachions si le vin a réellement été produit là-bas. Son nez de fruit rouge mûr (griotte) évolue aussi sur des notes tertiaires de cigare et de crotte de pigeon. La bouche puissante nous dirige vers la Côte de Nuits même si les tannins sont résolus à ce stade. L’acidité présente et vive nous oriente vers Gevrey-Chambertin… mais c’est ensuite tout sa finesse et son élégance qui prennent le relais ; les épices titillent le dégustateur dans une multitude d’émotions infimes : le poivre, le cumin puis une fin de bouche mentholée et minérale concluent cette sensation d’avoir bu un grand vin de Bourgogne, fait de multiples nuances que seuls les vins anciens peuvent procurer.
Face à lui le Châteauneuf-du-Pape 1983 en magnum du Domaine de Beaurenard joue aussi dans le domaine de l’élégance et du charme : regardez déjà la bouteille, n’est-elle pas magnifique ?! Issu d’un vignoble cultivé depuis plus de 50 ans avec une agriculture respectueuse de la nature et de l’environnement (fumures organiques, enherbement ou travail du sol, ébourgeonnage, divers travaux à la main), ce vin a été produit dans ce grand millésime par Paul Coulon, le père des actuels propriétaires. Sa robe évoluée tire sur des nuances brunâtres légères. L’anis, le fruit rouge et d’autres épices annoncent un ensemble enrobé et satiné. La bouche est d’une grande concentration mais intégrée par des tannins veloutés ainsi qu’une fraîcheur incroyable. La fougue de la jeunesse a laissé la place à la sérénité de l’âge : celle des vieux Grenache (70% de l’encépagement) voluptueux et d’une complexité confondante : les épices, la girofle, le goudron se mêlent à la réglisse et au minéral. La fraîcheur de ce Châteauneuf est superbe malgré une puissance sous-jacente qui confère une grande longueur à l’ensemble. Un modèle du genre qui plus est dans ce format généreux et apte à la grande garde.
La soirée se termine avec un grand d’Alsace : grand domaine, grand millésime sur une excellente tarte Tatin. Le résultat ne peut être que bon… Avec le Gewurztraminer Vendange Tardive 1990 de la maison Hugel, nous sommes en présence d’un vin moelleux d’une limpidité et d’une élégance exceptionnelles ! Il faut savoir que la famille Hugel sait de quoi elle parle en matière d’Alsace moelleux puisque c’est elle qui est à l’origine des lois sur les Vendanges Tardives (VT) et les Sélections de Grains Nobles (SGN). Issu du Grand Cru Sporen mais non revendiqué par Hugel (une habitude chez ce producteur tout comme chez Trimbach), Ce Gewurztraminer VT présente un nez discret mais assagi et finement empreint de rose, de litchi et de minéral. Sans excès et tout en suggestion, il s’ouvre au palais avec une multitude de nuances, à la fois sur les agrumes (citronnelle, zeste d’orange, orange sanguine), la rose, le Grand Marnier et le zan. Cette grande complexité est alliée à une fraicheur remarquable qui confère élégance et raffinement à l’ensemble. L’équilibre est parfait, la longueur de ce vin est interminable. Comme un vent d’ange qui vous caresse le palais, ce vin est d’une finesse exceptionnelle. Une infusion de Gewurztraminer à se pâmer !
Après tant de grands vins il est difficile de voter mais qu’importe ! Les Avinturiers ont dignement fêté une nouvelle année de dégustations et de découvertes lors de cette soirée mémorable. Il ne me reste qu’à remercier toute l’équipe du Restaurant Au Canon d’Or et plus particulièrement le maître des lieux, Gilles Reeb, pour la préparation du dîner et des vins de sa cave aux trésors. Ci-dessous des images prises au cours de cet excellent menu :
Nous avons encore eu la chance de goûter quelques autres bouteilles en fin de soirée, que ce soit le succulent Poiré d’Eric Bordelet, le Champagne Grand Cru Aÿ Blancs de Blancs de la maison Lallier, un Saumur-Champigny « Franc de Pied » 2010 de Thierry Germain bien trop jeune encore mais rattrapé par un excellent Bourgueil Cuvée Prestige 1976 de Lamé Delisle Boucard (Domaine des Chesnaies) fraîchement acquis par notre ami et au bouchon moisi mais qui s’est battu jusqu’au dernier centimètre ! Preuve en est que les ressources de ce passionné sont loin d’être épuisées.
In vino veritas