Skip to main content

Les Avinturiers sont-ils des buveurs d’étiquettes ?

Par 16 novembre 2014novembre 18th, 2014Non classé

Telle est la question que Jean-Michel, notre aimable trésorier, nous a posée lors de notre Assemblée Générale… Passée la revue des affaires courantes, nous avons profité de sa sélection avec entre autres : Côtes du Jura «Les Combes» 2008, Les Dolomies ; Bordeaux rouge « N°1 » 2011, Dourthe ; vin de Savoie « Chautagne Pinot » 2009, Jacques Maillet… contre Meursault 2004, Domaine Michel Lafarge ; Château Cos d’Estournel 1990, 2è Cru Classé de Saint-Estèphe ; Clos des Lambrays Grand Cru 2001, Domaine des Lambrays.

 

Chez les Avinturiers même les Assemblées Générales sont un prétexte pour déguster des bonnes bouteilles. Ce rendez-vous officiel a aussi marqué l’inauguration d’un nouveau lieu de rencontre pour tous les amoureux des produits bio, l’association Les Sheds à Kingersheim, près de Mulhouse. Cette association a choisi une ancienne manufacture textile pour y établir un restaurant, une épicerie ainsi qu’une cave à vins bio dont Jean-Michel est le caviste bénévole et attitré… Elle est aussi le théâtre d’un marché tous les mercredis. Ici, ne vous-y trompez pas, tout est bio, jusqu’à la vinaigrette qui nous sera servie avec la salade verte !

Les membres présents à cette réunion annuelle ont bien sûr dû se soumettre au traditionnel protocole de ce genre d’assemblée : le mot du Président, la revue annuelle des comptes ainsi que des affaires courantes. Heureusement pour nous, tout est dans le verre, pardon dans le vert (…), c’est pourquoi nous entamons bien rapidement l’apéritif avec un duo servi à l’aveugle par notre maître de cérémonie. Tout d’abord ce vin blanc à la robe brillante et claire, d’une belle consistance mais au nez discret, mouillé et réduit qui ne se révèlera jamais vraiment. La bouche, quant à elle, délivre un gras chaleureux, une texture laiteuse et plutôt alcooleuse en finale. Puissant, beurré mais plutôt deséquilibré, ce Meursault 2004 du Domaine Michel Lafarge ne nous procure aucun plaisir particulier et ce, malgré son statut de grand de Bourgogne… Tout l’inverse du Côtes du Jura «Les Combes» 2008, Les Dolomies qui arbore un jaune pâle et un nez au fruité élégant, mûr et empreint de classe. Des notes levurées se répètent en bouche et soupçonnent un vin issu de la culture biodynamique… Serait-ce un vin de Jean-François Ganevat me dis-je alors ? Et bien non mais je peux vous dire que ce vin en a la trace ! Aux multiples facettes, avec un gras tendu par une acidité tranchante presque violente, ce Chardonnay vinifié par Céline Gormally est encore d’une jeunesse à couper le souffle ! La finale prend des notes de pierre mouillée puis de bacon, de foin et de miel. Un modèle du genre, à carafer ou à garder : je comprends maintenant pourquoi ce domaine du Jura est un des rares référencés chez Noma, le « meilleur restaurant du monde ». Et dire que les Avinturiers accueilleront bientôt Céline et Steve… Alors restez connectés !

 

La deuxième série voit la victoire par K.O. du Bordeaux rouge « N°1 » 2011, Dourthe face au Mouton Cadet 2011, Bordeaux. Comment un amateur de vin peut-il encore apprécier ce dernier vin, surfait, maquillé et amer de surcroît ? Comment le propriétaire d’un 1er Grand Cru Classé de Pauillac, Château Mouton-Rothschild, peut-il vendre sur le marché une fraude comme Mouton-Cadet ? Je me le demande… En revanche le Bordeaux générique de Dourthe, qui porte fièrement son N°1, fait un beau pied de nez à son compère à quatre pattes et deux cornes : certes son nez est marqué par l’élevage mais il se montre de très bonne facture, à la fois élégant, envoûtant et friand de fruits rouges. Ses tannins fins et frais portent une matière mûre (beau Cabernet) et traduisent un bel équilibre de bouche. Sa belle finale complexe parachève le tout et promet du plaisir pour quelques années encore. Une très belle affaire à moins de 10€, qui tranche bien avec le rapport qualité-prix décevant de son concurrent du soir.

Dourthe N°1 et Chautagne de Jacques Maillet
 

Le vin suivant se suffira à lui tout seul. Le vin de Savoie « Chautagne Pinot » 2009 de Jacques Maillet est à l’image de ce vigneron de talent : rare et précieux. Vous vous souvenez peut-être d’une verticale de sa cuvée Autrement (voir par ailleurs), et bien sachez que ses vins de cépage valent eux aussi le détour. Le nez mûr et aérien de ce Pinot Noir dénote les épices et les fruits noirs. Je me crois en présence d’une Syrah alors que mon voisin Christian n’en démord pas : c’est bien un Pinot Noir ! La bouche s’exprime avec une matière vive, sapide mais contenue, preuve en est que ce vin peut encore évoluer. Après quelques minutes dans le verre c’est tout un ensemble d’arômes de fruits mûrs et de violette qui nous enchantent avant que la finale complexe ne nous envoûte complètement : le tabac, les épices, la réglisse et la cendre… Ca y est : la timidité a laissé place à la force du terroir et à ce côté sanguin qui rappelle certains terroirs rhodaniens. Quelle concentration pour un Pinot Noir. Tout le monde est enchanté ! Encore une fois, bravo Jacques Maillet.
En marge de cette série, et pour remplacer le pauvre Bordeaux générique qui était censé rendre la pareille à ce superbe Pinot Noir, nous partons sous le soleil avec le Château Complazens La Clape « Premium » 2011, Côteaux du Languedoc apporté par notre ami Philippe. Son nez d’une maturité extrême me fait penser à certains Primitivo des Pouilles avec ces notes presque sucrées et suaves de confiture de mûre, de caramel et de violette. Exubérant et puissant en attaque de bouche, il révèle une fois de plus toute la volupté d’un fruit presque confituré alliée à une fraîcheur étonnante. La finale empreinte de poudre de cacao se veut très digeste pour un vin de cette puissance. Un coup de cœur pour beaucoup de dégustateurs…

 

Nous achevons cette soirée par une bataille entre deux grands noms de la viticulture française. Tout d’abord le Château Cos d’Estournel 1990, 2è Cru Classé de Saint-Estèphe : tout simplement une grande déconvenue pour ce Seigneur du Médoc ! Une fois de plus selon Jean-Michel, qui souhaitait nous démontrer à tous la médiocrité qu’a offerte ce cru dans un millésime aussi mythique que 1990. En effet le nez paraît plutôt évolué avec des notes de prune, de cuir et de crottin de cheval. Alors que l’on s’attendait à plus de majesté de sa part, Cos d’Estournel 1990 est ici fatigué et sans relief : ses tanins sont pleinement résolus mais la faible maturité du Cabernet Sauvignon semble pénaliser l’ensemble. Une piètre performance pour un vin de ce pedigree qui se répète au fil des dégustations selon notre organisateur. Preuve nous en est donnée ce soir puisque la bouteille est encore à moitié pleine lorsque nous passons au Clos des Lambrays Grand Cru 2001 du Domaine des Lambrays. Celui-ci est en effet beaucoup plus abouti : son nez complexe de fruits rouges, de sous-bois et d’humus s’ouvre au fil des minutes. La bouche se veut élégante et subtile avec une complexité naissante : fruit rouge mûr, sauce soja, sous-bois, réglisse. Encore fringuant à ce stade, il supportera sans souci quelques années de garde supplémentaires avant d’atteindre son plateau de maturité. Son élégance est sa marque de fabrique, à l’image de ce joli millésime bourguignon ; sa finale longue et fraîche sur la réglisse, les fleurs fanées et les sous-bois souligne toute la race des Grands Crus de la Côte de Nuits.

Clos des Lambrais et Cos d'estournel

Ainsi se termine cette soirée de dégustation qui aura mis au grand jour quelques superbes vins produits par des vignerons de talent tels Céline Gormally ou encore Jacques Maillet. Face à eux les mastodontes de la production de masse : Mouton Cadet et ses x millions de cols produits chaque année, qui n’a eu aucune chance face au plaisir immédiat que nous a procuré N°1 de Dourthe, pourtant aussi tiré à plusieurs millions de bouteilles ! Enfin les grands noms de la soirée auront grandement déçus, tels le Meursault de Michel Lafarge ou plus grave encore, Cos d’Estounel 1990 ! Seul le Clos des Lambrays 2001 a tenu son rang : il confère déjà beaucoup de plaisir même s’il n’en est qu’au tout début de sa carrière. Et si finalement, le vin était une affaire de vignerons ?

In vino veritas